THRILLERs

 

THRILLER

 

Pierre Papierciseaux croyait aux fantômes.

Il savait que si il se concentrait et pensait très fort il pouvait les sentir.

Et à ce moment-là il avait l'impression de se mouvoir dans un océan de formes immatérielles qui se bousculent.

Mais bien-sûr il n'en avait jamais vu.

Cela dit, n'allez pas imaginer que Pierre vivait en recherchant les fantômes, foin des ombres! Non, il vivait très bien au quotidien sans penser à tout cela!

Et son quotidien était on ne peut plus quotidien, se déroulait comme du papier à musique.

Mais un jour.

 

Pierre avait commencé sa journée en musique comme d'habitude, il avait écouté la radio en buvant son café et en fumant ses trois premières cigarettes pendant que le chat croquait ses croquettes.

Á 10 heures, le récréation de l'école primaire juste à côté de chez lui, a sonné le moment de se lever de sa chaise et de laver son bol, de remettre des croquettes dans la gamelle du chat, puis de monter dans sa chambre pour quitter son pyjama et enfiler ses habits d'homme actif, à savoir un jogging et des pantoufles, celles qui lui permettaient d'aller chercher son courrier dehors au bout du jardin.

Ce ne sont pas les mêmes pantoufles que celles qu'il met au lever.

 

Tout à coup, il prend conscience du silence de la récréation des petits, les cris des enfants ont subitement disparu.

Comme un jardin d'enfants en hiver, dépeuplé et désolé, le silence de l'école devient sépulcral et alerte Pierre qui se fait attentif à ne pas faire de bruit pour écouter ce silence.

Il redescend au rez-de-chaussée, sort dans le jardin, suivi par le chat, non il n'y a plus d'enfants dans la cour de l'école.

Il rentre chez lui et éteint la radio.

 

"Où sont passés les enfants? Est-ce-que quelqu'un quelque chose les a enlevé, comme çà d'un claquement de doigts?"

Il tend l'oreille, il lui semble... de vagues cris étouffés lui parviennent mais il n'est pas sûr d'entendre quoi que ce soit, ce ne sont peut-être que des acouphènes.

Pierre se rappelle, la seule fois où il n'avait pas eu de récréation quand il était petit, c'était le jour où il y avait eu une éclipse de soleil

Il se souvient de ses copains d'alors, qu'étaient-ils devenus, combien étaient encore vivants, et il imagine, ça lui vient comme çà, les fantômes de ceux qui sont morts, mais ce ne sont pas des fantômes d'adultes mais des fantômes d'enfants, comme si à jamais ses copains étaient restés des enfants.

 

Ce ne sont que les fantômes de ses souvenirs.

Mais, et si les fantômes étaient des choses liées au corps des vivants mais qui restent derrière, musardant, prenant leur temps, ne grandissant que quand ça leur chante, ne vieillissant que dans des châteaux en Ecosse, et Pierre imagine la cour de récréation à côté vidée de ses écoliers mais pleine de petits fantômes silencieux jouant silencieusement et prêts à faire toutes sortes de bêtises silencieuses.

 

C'est alors qu'il entend du bruit à l'étage, ou plutôt non c'est sur le toit, quelque chose marche sur les tuiles, tout en haut; il faut qu'il ait l'ouïe fine pour percevoir ce bruit malgré les acouphènes,c'est un bruit hésitant.

Puis il entend tomber un poids, un petit corps se recevant sur ses pieds nus.

"Qu'est-ce-que c'est?" se dit Pierre, "Les fantômes ne font pas de bruit. Et pourquoi viendraient-ils ici? Que me reprochent-ils? C'est vrai que je n'ai pas eu d'enfant et que je n'en ai jamais voulu, et alors?!!

Pierre est effrayé néanmoins.

Il écoute désespérément, il entend le robinet qui goutte le glouglou du chauffage central le chant du vent glacial qui passe sous la porte.

 

Il monte à l'étage.

Au milieu des escaliers il s'arrête, quelque chose il ne sait pas quoi, gratte la porte fermée de la chambre d'amis, le peu de cheveux qui lui restent se dresse sur sa tête et il est tétanisé, il n'ose plus faire un pas, le vide des escaliers derrière lui tente de le happer et le grattement, devant, le terrifie.

Combien de temps reste-t-il là transpirant? Seule la serpillère qui a essuyé les gouttes tombées parterre peut le dire.

Il se décide enfin, en homme courageux et actif en jogging et pantoufles guerrières et monte les dernières marches, arrive devant la porte de la chambre,

le grattement sauvage s'est arrêté, il avance sa main vers la poignée.

Il ouvre la porte.

 

Et il voit le chat.

 

Ce petit con avait froid dehors, il était monté sur le toit de la maison, s'était faufilé par le vélux mal fermé de la chambre, s'était laissé tomber sur le parquet, et finalement bloqué par une bête porte fermée s'était mis à gratter furieusement.

 

Pierre redescend sur terre, à nouveau il entend les cris des enfants, ils n'avaient pas été enlevés donc, juste occupés ailleurs et non pas dans l'ailleurs, ils sortent de l'école il est 11 heures 30, l'heure de faire chauffer la soupe et de resservir les croquettes au chat.

 

Jean-Pierre C.

 

 

Thriller

 

Comme tous les soirs, après un repas frugal avalé à 19 h tapantes, Madame Atkinson s’habille pour la nuit : chemise de nuit en satin fleuri et robe de chambre en polaire mauve. Elle fait une halte à la salle de bains pour défaire son petit chignon et libérer ses cheveux argentés. Puis elle trottine jusqu’à la cuisine où elle se sert une tasse bouillante de tisane à la verveine, et vient s’installer confortablement devant le journal télévisé de la 2. Elle a renoncé à regarder la 1 depuis que PPDA a fait ses adieux.

 

Ce soir, comme tous les soirs, le feu pétille joyeusement dans la cheminée. Une petite pluie d’automne bat calmement et régulièrement contre les vitres. Un gros chat mi-gouttière mi-angora, lové contre elle, ronronne consciencieusement après avoir croqué ses croquettes avec gourmandise. Madame Atkinson le caresse langoureusement de la main gauche pendant que la droite serre toujours la tasse de tisane. Les nouvelles ne sont pas passionnantes et ils somnolent un peu tous les deux.

 

Tout est calme à part la pendule de l’entrée qui bat la mesure et les gouttes de pluie qui tombent en cadence. Dans cette ambiance ouatée, elle s’endort pour de bon, bercée par le ronronnement du chat.

 

Soudain, une quinte de toux, lui fait lâcher la tasse qui éclate sur le sol en mille morceaux. Madame Atkinson se réveille en sursaut, haletante. Le chat s’enfuit dans un miaulement désespéré. Le feu est en train de s’éteindre. Elle frissonne, se lève, va chercher une pelle et une balayette pour ramasser les morceaux, en profite pour fermer le robinet de la cuisine qui goutte à goutte de façon si crispante. Elle raccroche le volet du salon qui vient de se rabattre en claquant. Le vent s’est levé. La pluie redouble.

 

Dehors, une voiture s’arrête, une portière claque, des gens s’interpellent. Elle retourne sur le canapé, qui diffuse maintenant un film policier dont elle a raté le début. Elle ne parvient pas à s’intéresser à l’intrigue, elle n’est pas tranquille. Le chat n’est plus là pour la rassurer, le vent hurle dans la cheminée et elle entend maintenant des drôles de bruits à l’étage : une porte qui grince, des éclats de voix. Et puis elle sent un courant d’air. Elle se ratatine dans sa robe de chambre. Elle est pourtant sûre d’avoir tout fermé. Depuis qu’elle est veuve, elle redoute les cambriolages, se barricade à double tour et va vérifier une dizaine de fois toutes les serrures avant le petit rituel du soir.

 

Un coup de feu retentit, elle perçoit un cri d’horreur. D’une main tremblante elle éteint la télévision qu’elle ne regardait plus de toute façon. Elle entend encore un cri, puis plus rien. Son cœur bat la chamade. Elle se met à trembler de plus belle. La porte là-haut grince, dans un rire diabolique. Après les cris, ce sont maintenant des chuchotements qui lui parviennent. C’est sûr et certain, il y a des gens là-haut dans cette chambre, pourtant inoccupée. Elle veut appeler la police, décroche le téléphone, puis le repose.

 

Madame Atkinson se souvient qu’autrefois son petit-fils l’appelait Mamie courage depuis ce jour où elle avait sauvé le chat de la noyade. Alors elle traverse le salon à petits pas, monte l’escalier armée d’un pique feu, prend une grande inspiration et se décide enfin à pousser la porte. Elle allume la lumière. Le vasistas, sans doute mal refermé par le dernier occupant, s’est ouvert, et c’est le courant d’air qui fait grincer la porte. La pluie aussi est entrée et le sol est trempé. Il faudra éponger demain.

 

Quant aux voix et aux cris, elle comprend vite que c’est le radio-réveil le coupable. Il s’est mis en route tout seul, retransmettant une pièce policière. « Ce petit diable de Tristan a sans doute oublié d’enlever l’alarme hier soir quand il a dormi là ». « Plus de peur que de mal » se dit-elle, mais elle en est sûre, de toute façon sa nuit sera blanche.

 

Elle éteint la radio, referme le vasistas, s’apprête à descendre mais se met soudain à hurler : « Et le chat ? Où est passé le chat ? Pourvu qu’on n’ait pas kidnappé le chat » !

 

Dominique D.

 

« Quelques petites notes de musique »….

 

Le musicien, penché sur sa contrebasse, cherche…il essaie des variations des arrangements, des voix différentes autour d’une phrase esquissée, d’une grappe de notes.

 

Un crayon à la bouche il joue, puis pose son archet pour griffonner sur un cahier posé sur le pupitre ouvert devant lui.

 

Lorsqu’il s’arrête de jouer, l’appartement tombe dans un silence à peine troublé par un robinet qui goutte au fond de la maison et par le glissement tenu du crayon sur la portée.

 

Sa compagne est sortie, emmenant le bébé et ses grands enfants sont là-bas, en Suisse, auprès de leur mère, il devrait arriver à travailler et pourtant…Le soleil inonde les murs blancs et la feuille réglée, la contrebasse fauve, en équilibre sur sa pointe, debout sur le parquet blond, repose contre son épaule. Il joue, s’interrompt, griffonne, gomme, s’énerve, soupire et finit par coucher son instrument au sol ; il n’arrive à rien aujourd’hui… Il va fermer le robinet qui goutte et va à la cuisine pour se préparer un café. La machine siffle et remplit tout à coup le silence.

 

Il ouvre la fenêtre, le grondement de la circulation, l’odeur d’essence l’agressent, un vol d’étourneaux traverse le ciel avec des cris perçants, discordants, ça parasite la petite musique qu’il traque obstinément. Il ferme la fenêtre et la rue se tait.

 

Appuyé contre l’évier, il boit son café à petites gorgées, les yeux dans le vague. Il cherche encore au-dedans de lui, mais le silence a vaincu la mélodie et, avec le silence, revient le manque, le manque qu’il tente de combler, depuis trois longues années, à force de musique. Car ce manque est silence : comment le dire autour de lui sans inquiéter, faire souffrir ? Il ne le peut ni ne l’ose, alors il joue …

 

Des cris et des rires éclaboussent la rue, bousculent le silence de l’appartement, une volée de gamins s’échappe de l’école voisine. La voix d’un petit garçon, aigüe, jaillit au milieu des autres ; « Moi, mon père ! » Alors le musicien pense à son fils de dix ans, son cartable sur le dos, là-bas, dans une ville étrangère …

 

Un grésillement dans sa poche, c’est son téléphone qu’il avait mis sur vibreur pendant qu’il jouait. Il l’ouvre et lit le message envoyé par ses enfants depuis la Suisse :

  • Papa, on arrive samedi à 15 heures, tu seras à la gare ?

  • Oui, tape-t-il, oui, bien sûr, je languis de vous voir !

Sa poitrine se soulève, s’élargit dans un grand soupir. Dans l’appartement, le silence a changé, il s’est ouvert comme un ciel où s’effilochent les nuages, il est comme vibrant d’attente.

 

En souriant, le musicien retourne au salon, relève sa contrebasse et l’appuie contre lui. Il saisit son archet et, d’un seul mouvement, il dessine une phrase parfaite, la phrase qu’il cherchait, enfin rejointe. Il la note et la répète encore et encore, plus sûr de lui à chaque fois. Puissante, la mélodie franchit les vitres fermées et s’envole …

 

Dans la rue, en bas, une vieille dame s’arrête et s’appuie au mur, les yeux fermés, pour écouter.

 

Anne-Marie L.

 

 

THRILLER

 

Emile est à la retraite depuis cinq ans ;

Mince, bronzé, cheveux gris.

Tout habillé de noir.

 

Ce matin, il s’est levé tôt réveillé par le soleil

Pas un bruit dans l’immeuble, ni dehors, Trop tôt.

Le café est en train de chauffer.Psiii le café est prêt.

Emile décide de boire son petit noir sur la terrasse

Deux tranches dans le grille-pain. Clic elles sont prêtes.

Un plateau, un bol un pot de confiture, le tour est joué.

Quel moment paisible.

 

Avant il prenait tout juste le temps de boire son café sur le zinc

Là il a tout son temps désormais.

Dans le ciel des avions qui arrivent ou partent de Marseille

Ils ne font pas de bruit, comme un peintre qui dessinerait dans le ciel des trainées blanches.

Un oiseau commence sa sérénade dans le cyprès en face.

A qui parle-t-il ? Un autre lui répond.

Tu as vu le gars sur la terrasse ? Si on allait lui porter les nouvelles.

Vran, le portail automatique s’enclenche, un bruit sourd.

Le moteur de la vespa qui démarre, le voisin qui part au boulot.

 

7H30

Clac le portail est refermé é.

Tous les jours le même scénario sauf le dimanche.

Emile allume une cigarette, il savoure chaque bouffé, rein ne le trouble.

Une porte claque.L’assenseur arrive à l’étage.

Emilie avec son bébé dans les bras. Il pleure. Il ne veut pas aller chez la nounou.

 

8H 30

Maintenant le jour est bien levé. On commence à entendre le bruit des voitures sur le boulevard proche.

Gens qui vont au travail, au lycée. Ici le bruit est amorti par les arbres.

Emile met un disque d’Arno. <Dans les yeux de ma mère>, une chanson triste.

On devine quelques larmes sur les joues d’Emile.

Le téléphone sonne : Maman.

Allo Emile, j’ai mal dormi cette nuit, un stylnox mais rein à faire.

Mais maman arrête de prendre cette saloperie.une bonne tisane avec une goutte de gnôle te ferait plus de bien.

 

Il raccroche. Retourne lire en terminant son café.

Le parking s’est vidé de toutes les voitures. Ils sont tous au boulot.

On entend un drôle de bruit dans l’appartement à côté.

Un déambulateur qui avance lentement en raclant le carrelage dans un sens et dans l’autre ;

Il va frapper à sa porte. Rien. Emile passe par son balcon.

Elle est là, mais la baie vitrée est fermée.

 

Ou je suis ?ou je suis ?

Avec un autre voisin nous appelons la police et son fils.

Une sirène, c’est la municipale qui arrive. L’instant d’après c’est le fils.

Heureusement il a les clefs.

Sa maman est là toute hébétée. Il la console dans ses bras tendrement.

Les agents repartent. Tout est redevenu calme.

 

La sirène du village sonne. Quel bruit sinistre.

Non ce n’est pas la guerre.

C’est midi et le premier mercredi du mois

 

Christian P.

 

 

LE SOUFFLE

 

Il n’a dormi que quelques heures, mais il se sent reposé. Sans doute le calme qui lui convient. Il renvoie sa mèche blonde en arrière, s’assoit, jette un œil sur l’horloge : à peine cinq heures. Le jour ne va tarder à se lever. C’est le moment qu’il préfère, celui où le sommeil a ramené les idées à la lisière de son cerveau et où il va rapidement les cueillir et les poser sur la feuille blanche. Il sourit et très vite, le crayon glisse, glisse, la page se noircit... Des mots, des mots encore. Une histoire commence.

 

Reprendre son souffle. Se faire un café. Y a-t-il du café dans cette maison ? Quand Olivier lui a proposé de partir quelques jours dans le midi, une maison dans les collines, il a pris les clefs et s’est enfui, sans même prendre un biscuit ! Il ouvre un placard, un autre, un autre encore : des bocaux, des boîtes de conserve, des bouteilles de vin, des pâtes, des biscottes, du thé, du café... il y a là de quoi tenir des semaines.

 

Greu, greueueu, groul chante la cafetière dans le silence de la maison.

 

Avant de se rasseoir, il ouvre la fenêtre. La journée va être chaude, mais couverte. Il n’y a pas une étoile dans le ciel. Un peu de fraîcheur vient frôler son visage, il reste un moment, détend ses muscles, ses mâchoires. C’est alors qu’il entend... non, rien. Un moment, il lui a semblé entendre un autre souffle, là, tout près. Mais non.

 

Une légère brise entre par la fenêtre ouverte, elle soulève quelques feuilles qui vont glisser sur le parquet. Il les ramasse, les reclasse, se rassoit derrière le bureau et retrouve très vite le fil de ses idées. Mais soudain... Oui ! C’était un souffle, un très long souffle, il en est sûr. Il se rapproche de la fenêtre et oui, il entend bien. C’est une respiration à présent, irrégulière, mais quelqu’un, quelque chose, respire là-dehors. Vite, il ferme la fenêtre. Le silence revient dans la pièce.

 

Il éteint toutes les lumières, passent de fenêtre en fenêtre. Le ciel est couvert de nuages gris, le jour à du mal à naître. Mais autour de la maison, la cour, les chemins sont couverts de petits gravillons blancs, s’il y avait quelque chose, il verrait, il entendrait. Mais rien.

 

Sans doute est-ce le calme et la solitude qui perturbent son âme citadine. A force d’écrire des histoires de dragons et de sorcière, il va finir par y croire.

 

- « Allez mon vieux, remets-toi plutôt au travail. Tu pourrais écrire l’histoire du monstre gris dont le souffle renversait les montagnes. »

 

Le souffle, oui, la respiration, il l’entend maintenant malgré la fenêtre fermée et elle n’est plus irrégulière ; c’est une lente expiration qui ne cesse jamais. Elle entoure la maison, envahit l’intérieur. Pourtant rien ne bouge dans la pièce. Il sent quelques gouttes de sueur perler sur son front, sa main se crispe sur le crayon. « J’ai peur » pense-t-il. Un hurlement s’échappe de sa gorge. Il tremble. « Il va me repérer.» Rien ne se passe... mais le souffle continue encore. Parfois il semble s’apaiser un moment, puis il reprend de plus belle.

 

Affolé, il court dans toute la maison, ouvre les portes, la cuisine, le salon, les chambres. Le bruit toujours. La salle de bain... le fenestron est ouvert, il sent le souffle le recouvrir. La terreur l’envahit. Fuir. Fuir.

 

Il sort. Il court. Vers où, il ne sait pas. Il court. La colline là-bas. Il court à perdre le souffle, mais la respiration ne le lâche pas, elle est devant, derrière, partout, de plus en plus forte. Le sommet enfin... voir de l’autre côté.

 

Sur de larges bandes de bitume, bordées de longs traits blancs, des véhicules roulent ; il entend les moteurs s’emmêler en une longue expiration qui ne cessera plus jusqu’à une heure tardive de la nuit.

 

Hélène R.

 

 

Soir d’automne

 

Albert Spark vit seul depuis au moins dix ans. Il a été marié, heureux même et puis la maladie, le deuil.


Il vit dans la maison que sa femme et lui ont choisie, une grande bâtisse de village caressée par le soleil d’hiver, rafraîchie par de grands arbres l’été. Ses enfants l’ont plusieurs fois sermonné : « tu devrais déménager, c’est bien trop grand pour toi et pas commode aussi avec toutes ces marches, sans parler des courants d’air… »
Albert les laisse parler, convaincu qu’ils se lasseront. Au-delà des souvenirs qui la peuplent, sa maison est au centre du village et en enfourchant son vélo Albert peut subvenir à tous ses besoins : ses journaux d’abord avec les nouvelles locales et nationales. Ensuite les quelques commerces qui survivent : une boucherie, une pharmacie. Enfin l’inévitable superette dont l’enseigne a changé plusieurs fois en une décennie et qu’il continue d’appeler par le nom que les habitants lui donnaient quand ils sont arrivés il y a plus de trente ans. Tout cela suffit à son bonheur.


Se remarier ? Bien sûr il y a pensé au début. Il a même fréquenté une dame un peu plus jeune que lui mais le cœur n’y était plus. Il a laissé la liaison s’effilocher, satisfait en fin de compte de se retrouver seul.
Et les années ont passées, son long corps s’est peu à peu voûté, son front s’est dégarni. Il continue à faire attention à lui-même si ses vêtements dégagent parfois une odeur un peu rance.
Là encore ses enfants, sa fille surtout, ne manque pas de le rappeler à l’ordre et il se laisse parfois entraîner vers une grande surface d’où il ressort avec quelques chemises et pantalons qu’il usera jusqu’à la corde.

 

Octobre touche à sa fin. Les températures sont restées clémentes jusqu’à la semaine dernière mais depuis un vent froid venu du nord s’est levé et Albert a troqué son bermuda délavé pour un sweat sans forme et un pantalon en velours côtelé qui peine à envelopper ses maigres jambes.
L’obscurité a fini par gommer jusqu’aux formes des arbres et l’ombre noie désormais la maison d’Albert. C’est le moment qu’il redoute le plus, quand le noir prend possession du monde. A cet instant sa solitude semble se nourrir de la noirceur ambiante. Elle devient une chimère ricanante qui dévore son espace. Celui-ci semble alors se rétrécir et l’étouffer. Invariablement Albert allume la radio. Aussitôt les fantômes sont aspirés par la boîte résonnante. Mais aujourd’hui la boîte ne résonne plus et refuse obstinément de remplir sa fonction. Albert a beau tripoter les boutons de l’appareil, l’ami fidèle reste silencieux.
De guerre lasse, le vieil homme va prendre le roman qui l’accompagne depuis quelques jours : l’histoire romancée de personnages qui habitent un immeuble du centre du Caire. Il aime bien l’univers que l’auteur a su crée et puis il a l’impression de voyager. C’est presque un documentaire, un témoignage.


Il s’installe sur son vieux canapé fatigué. Encore un vestige que ses enfants aimeraient bien voir disparaître mais quel confort incomparable ! Il a à peine commencé sa lecture qu’un claquement terrible retentit. Albert retient son souffle, tend l’oreille. Non rien, que les craquements des vieilles poutres et en sourdine le tic-tac de la pendule dans la cuisine. Albert reste ainsi sans bouger, vaguement inquiet puis tente de se replonger dans sa lecture.
A nouveau, le même claquement terrible, une explosion ? Albert reste quelques instants immobile puis décide de faire le tour du rez- de- chaussée de la maison. Celui-ci est tout en longueur, cuisine et séjour communiquant par une ouverture sans porte. Les deux pièces donnent sur un jardin par une grande baie vitrée côté séjour et une plus petite côté cuisine. C’est cette direction que notre septuagénaire choisit. Il avance tout en guettant le moindre bruit suspect. Son pas est mesuré, il entend son pantalon crisser au rythme de ses enjambées. Le tic-tac de la pendule se fait plus sonore.


A sa grande confusion, il s’aperçoit que ses mains sont moites et il doit les essuyer sur le velours de son pantalon avant de pouvoir ouvrir la porte. Aussitôt le vent s’engouffre en sifflant. C’est comme s’il avait ouvert à une colonie de serpents et il recule devant ces reptiles nés de son imagination. Il essuie à nouveau ses mains et respire à fond. Le voilà maintenant sur la terrasse, à quelques pas de l’entrée, les sens aux aguets. Rien que le bruissement du vent dans les arbres qui gardent encore leur parure automnale. Au loin, il finit par percevoir le glissement d’une voiture, le gémissement d’un klaxon, un éclat de voix étouffé. Il respire à nouveau profondément puis regagne la cuisine. La porte tout juste refermée, le même claquement terrible fait vibrer la maison tout entière.


Plus question de sortir. Albert a la gorge sèche et il sent de petites gouttes de sueur perler sur son crâne. Il lui reste à visiter l’étage et il a une pensée acerbe pour son fils aîné qui se moque de sa démarche quand il grimpe l’unique escalier qui mène à l’étage : « il verra quand il aura mon âge ! » pense le vieil homme.
Le voilà à l’étage un peu essoufflé. Silence. Ça y est les mulots ont commencé leur sarabande ou plutôt leur festin. On les entend grignoter derrière les cloisons. Albert déteste ces bestioles mais plus encore ces appâts empoisonnés qu’on lui conseille d’éparpiller.
A droite les deux chambres. Les vitres tremblent sous les assauts du vent. Il a oublié de fermer les volets. Il s’arque boute pour ramener les vantaux et bloque d’un geste maladroit les ferrures. Cet effort le fait transpirer et il sent sa propre odeur, sensation désagréable. Il reste encore le bureau à sa gauche, jouxtant la salle de bains. Ici, ils n’ont jamais fait installer de volets et l’atmosphère y est sèche. Pas de lune ou plutôt si mais cachée par les frondaisons. Le bureau vibre aussi comme la maison, on se croirait sur un bateau balloté par la tempête. Pas de faux plafond et par grand vent comme aujourd’hui, on sent l’air qui s’engouffre sous les grosses poutres. Albert s’approche de l’unique fenêtre, vérifie l’étanchéité. Rien d’anormal.


Tout à coup, il entend des voix. Son sang se fige. Il est certain d’avoir fermé les portes mais il n’y a pas de doute, il reconnaît des une sonorité grave puis une plus aigüe qui s’interpellent. C’est incompréhensible, insensé. Les tonalités sont nasillardes, agressives. Albert cherche son téléphone portable. Rien dans sa poche. Il a dû le laisser sur la table basse, près du canapé. Il se sent impuissant, la gorge râpeuse comme du papier de verre. Puis tout à coup un jingle, il le reconnaît : les informations de France-Inter. Cette foutue radio qui se remet à marcher toute seule.
Mais son soulagement est de courte durée : le claquement vient de retentir à nouveau, plus puissant encore.


Albert redescend avec précaution l’escalier, se cramponne à la rampe. Il traverse la cuisine, éteint la radio, s’essuie à nouveau les mains puis le front avec son mouchoir désormais trempé.
Le bruit semblait venir de dehors. Il faut absolument qu’il sorte à nouveau, qu’il sache. Il remplit ses poumons, inspire calmement, pose sa main sur la poignée et plonge dans la nuit comme on se jette dans le vide. Il marche quelques pas hésitants, gagne la terrasse, il doit savoir. Il monte la volée qui le mène au jardin et là devant lui, menaçante et grimaçante, la porte de la cave, comme pour se moquer de lui, frappe un grand coup sur le mur décrépi.

 

Roland G.

 

 

La journée du plumeau

 

Philomène Courtepointe s’est levée tôt ce matin. C’est la journée du plumeau. C’est lundi. Et c’est l’hiver. Il fait encore nuit dans la maison ensommeillée. Philomène est descendue de son petit lit à baldaquin, a enfilé ses pantoufles chaudes, sa robe de chambre en pilou à fleurs et s’est glissée jusqu’à la cuisine où ronfle le poêle garni la veille. Il y a encore des braises. Il faut remettre du bois pour raviver le feu. La pièce est tiède. D’abord le petit-déjeuner avec le café brûlant, deux tartines au miel, pas une de plus, deux carrés de chocolat aux noisettes qu’elle suce consciencieusement, puis le bonjour de Pompon, le vieux chat tigré qui vient se frotter dans ses jambes en ronronnant pour avoir son bol de lait.

 

Elle a rêvé cette nuit. C’était bon. Ca se passait à la mer, dans une maison entourée de dunes. Il y avait des bébés, beaucoup de bébés. Les siens, ceux de ses enfants, et les enfants de ses petits-enfants. Tous jouaient ensemble et tournaient autour d’un gigantesque arbre de Noël décoré de boules rouges et argentées. C’était beau. Philomène se dit qu’elle en fera une jolie broderie qu’elle confectionnera pour Zoé, sa dernière arrière petite fille née aux lilas.

 

Une fois le petit-déjeuner dégusté, Philomène trottine jusqu’à la salle de bain. Toilette rapide. L’eau réchauffe ses vieilles épaules fatiguées. Elle fredonne : « J’ai rêvé d’un amour qui ne mourait jamais, j’ai rêvé d’un amour qui durerait toujours ». Et puis, habillage. Toujours la même robe noire un peu ample qui ressemble à une blouse d’écolier. Ne pas oublier les dormeuses nacrées qui complètent la toilette. Un peu de poudre sur les joues. Du sent-bon de chaque côté des oreilles. Une légère touche de rose à lèvres, celui qui a un goût de vanille. Et voilà. Philomène est prête. La maison est silencieuse. On n’entend que le tic-tac régulier de la pendule et de temps en temps un petit craquement qui provient du vieux buffet de la salle à manger.

 

Philomène s’accorde un petit moment de pause dans le fauteuil à franges du salon. Elle pose un plaid à carreaux sur ses jambes, éteint la veilleuse sur le guéridon et ferme les yeux. Pompon s’approche et saute lourdement sur ses genoux. « Viens mon pompon, mon mignon ». La vieille dame caresse le pelage de l’animal qui se met à ronronner bruyamment. « J’ai rêvé d’un amour qui ne mourait jamais... » Philomène se sent bien. Elle a cinq ans. Elle joue dans le jardin et s’amuse à courir après les papillons. Elle a des chaussures vernies, une jupe qui tourne bien et Caroline, sa poupée préférée. Demain, ses parents l’emmèneront à la fête foraine et on lui achètera une pomme d’amour... Philomène a vingt ans et sort de l’église au bras de Charles. Les carillons sonnent à toute volée. Son voile lui effleure la joue et elle lance son bouquet de mariée. Avec Charles, l’histoire durera un demi-siècle jusqu’à ce qu’une vilaine grippe l’emmène dormir à l’ombre des cyprès dans ce petit cimetière au bord de la mer. La mer, la mer toujours recommencée. Le ressac et son bruit ininterrompu. Deux corps endormis sur la plage. Juste le souffle du vent ...

 

Toc, toc toc, toc. Toc, toc toc, toc. Philomène ouvre les yeux. Elle a entendu un bruit. Toc, toc toc, toc. Toc, toc toc, toc. On dirait que ça vient du garage. Et soudain le coeur de la vieille dame se met à taper dans sa petite poitrine. « A peur Maman, a peur ». Philomène a trois ans. « Vite cachons-nous derrière le poêle. N’aie pas peur ma poupée, c’est le marchand qui livre le charbon à Adeline, la voisine du dessus ». Toc, toc toc, toc. Toc, toc toc, toc. Ca vient bien du garage mais qu’est-ce que cela peut être ? Hier soir, avant de se coucher, elle a vérifié que tout était bien fermé. Elle écarquille les yeux pour mieux entendre. Elle a dû rêver. Toc, toc toc, toc. Toc, toc toc, toc. Ca y est. Le bruit revient. On dirait même qu’il se fait plus fort. C’est Mouchi, le méchant géant qui vient me chercher pour m’emmener au pays des géants à tête chauve. Au secours, au secours, c’est Mouchi. Philomène est en sueur. Je veux pas y aller. Je veux pas y aller !

 

« Madame Courtepointe ! Madame Courtepointe ! Etes-vous là ? » Le bruit venait bien du garage. Quelle nigaude cette Philomène ! Ce n’était que le facteur, un nouvel employé, qui apportait un paquet et n’avait pas trouvé la porte d’entrée. Chouette ! un colis d’Ernest, son frère de Bretagne, qui lui envoie des fils de toutes les couleurs pour une nouvelle broderie. On va pouvoir enfin se mettre au ménage, se dit Philomène en rangeant les fils dans le buffet.

 

Françoise C.

 

 

Le chat veille ...

 

Le chat veille, son maître, gavé de soleil, aspirant au repos, laisse doucement tomber sa tête pendant que refroidit le thé dans le bol délavé. Un rayon de lune entre par la fenêtre éclairant les objets éparpillés à terre. Tout est calme. Rien ne vient troubler cette délicieuse quiétude.

Entre murmure et silence, le chat lit sans sourciller des nouvelles affolantes, observe tout un tas de fleurs multicolores qu’on ne peut admirer qu’au bord de la mer. Pas question de tourner la page : il est comme hypnotisé par ce camaïeu de couleurs.

Les minutes passent, le silence se fait plus lourd et le chat sombre à son tour avec force et douceur dans un sommeil peuplé de rêves insolites. Tout-à-coup il ouvre un œil : un gazouillis d’oiseau a eu l’audace de le réveiller !...à moins que ce ne soit qu’un rêve. Il reste encore quelques secondes l’oreille aux aguets puis sombre à nouveau en poussant un long soupir d’aise.

Les heures passent. Quelle douceur, quelle complicité partagée ! Mais soudain la sonnerie du téléphone retentit : stridente, dérangeante. Le chat bondit, renverse le bol qui tombe et se casse en mille morceaux. Le maître, réveillé à son tour, se lève en titubant et gesticulant, s’empare du téléphone, maudissant par avance l’intrus qui a osé gâcher cet instant de sérénité. C’est sûr, pense-t-il, demain je débranche le téléphone.

 

Dominique D.

 

 

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