Les Petits Grands II

 " Une petite question sans réponse est une grande messe un jour de pluie "

 

 

Je porte de la vie, des ondulations et du bruit

 

Mon front est rouge, mes oreilles dorées, mes joues sont vertes, ma bouche bleue, j'ai le
nez fuchsia, les cheveux jaunes, mes yeux sont mauves, mes épaules écarlates, mes
seins sont oranges .


J'ai le ventre océan, les cuisses marrons tendre, les genoux verts et les pieds
bordeaux… non, pas bordeaux, ce serait le signe d'une mauvaise circulation… noirs,
non pas noirs non plus, ce serait le rappel d'une histoire traumatisante… j'ai les pieds
écrus, écrus teinte légère.


J'ai mis mon bonnet à clochettes, mon collier à grelots, mes épaulettes de capitaine de
croisières. Je porte un chemisier bouffant, des manches gigot, une ceinture en macramé,
une jupe plissée écossaise, un pantalon à fleurs avec des pattes d'éléphants, je porte de
la soie, du velours, des dentelles et des jupons.


Je porte de la vie, des ondulations et du bruit.


J'ai une besace kaki au milieu du torse pour ranger mes outils et pour avoir les mains
libres, j'ai un fouet à la ceinture, quelque fois, je dois le faire claquer pour faire avancer
les choses ou pour réveiller les gens.


J'ai chaussé des crocs : ces bouts de plastique à la mode, agressifs en couleur. Je ne sais
pas si c'est confortable, mais c'est ce qu'il faut porter.
C'est moche, c'est fluo, ni artisanal, ni traditionnel. Demain, il ne faudra plus du tout en
porter… et tous les crocs finiront à la poubelle, et les poubelles finiront à la mer.


Mais Stop :
aujourd'hui, je me moque de la pollution et du gaspillage, je rigole, je ne réfléchis pas.
Je fais des méchancetés gentilles, je me laisse aller : je vibre en couleurs primaires, en
matières multiples.


Mes trottoirs sont envahis et sur-encombrés.
J'y ramasse des monstres et des confettis,
j'y bouscule des orangs-outangs et j'y mange de la macédoine,
j'y trouve des dragons et des airs de Pampelune,
il y a sur mes tympans des orchestrations et des tintamarres
qui se superposent, et qui se répondent.


Mes bras et mes jambes montent et descendent, ils scandent la musique, je piétine, puis
je fais demi-tour, je mime un défilé militaire,


je suis un Pantin Dictateur de Fantaisies.
Je fais Carnaval.

 

Joëlle Lengaigne

 

 " Un petit oiseau égaré est une grande vérité qui ne dit pas son nom "

 

 

Avec mon coeur

 

Maman, maman, on y va ? Oui ma chérie, je ferme la maison et on y va.

 

Gourmandine, tiens toi tranquille et arrête de te tortiller . Tu vas défaire la ganse de ta robe.

 

Maman m'a mis ma plus belle robe, celle à pois roses et verts et elle m'a fait une tresse africaine.

 

Ca y est. On est arrivé. J'ai un peu peur et je me mets dans les jupes de Maman. Il y a beaucoup de monde, des papas, des mamans, des mamies, des papis, des grands-papis, des grands-mamies, les maîtresses, les maîtres tous avec de beaux habits. Il y a aussi les frères et soeurs des copains et des bébés dans leur poussette qui crient et ont une sucette.

 

Moi, la mienne, je l'ai plus, on l'a mise à la poubelle parce que j'ai quatre ans. Et c'est pour la vie. En haut, entre les arbres, il y a des banderoles rouges, jaunes, vertes, bleues. C'est la maîtresse qui nous a donné le papier pour les peindre.

 

On s'est bien amusé avec les pinceaux, l'eau et la peinture. On avait envie de faire des batailles mais on l'a pas fait ; ça n'aurait pas plus à la maîtresse. Ca fait joli les banderoles. Il y a aussi une estrade pour tout à l'heure. On va monter dessus et on dansera. Comme la maîtresse nous a appris. Et puis il y a des jeux, plein de jeux : la pêche à la ligne, les petits canards, les boites à déquiller. Je les aime tous, surtout la pêche à la ligne. C'est dur mais c'est bien. Parfois, on m'aide. Je vais faire tous les stands. On donne un jeton à la dame et on joue.

 

Et puis il y a aussi le stand des gâteaux. C'est les mamans qui les ont faits. Moi, ma Maman elle a fait le gâteau au yaourt et j'ai aidé. J'ai versé la farine et le sucre. Il faut beaucoup remuer pour qu'il n'y ait pas de grumeaux. Après, j'ai décoré le gâteau avec des petits personnages de toutes les couleurs.

 

Ma Maman, elle est très gentille, elle veut bien que je l'aide. Mon Papa aussi il est gentil mais il ne fait pas les gâteaux. Il travaille aux spaces verts, dans les jardins. Je n'ai pas de frère ni de soeur. Maman a dit que l'année prochaine Papa Noël m'apportera un chien, marron et blanc, pas un vrai, un en peluche. Mélodie, ma grande copine, vient me donner la main. C'est ma copine ; elle est plus grande que moi. Du coup, je l'aime en grand. Avec mon coeur.

 

On va aller jouer aux boites à déquiller. Les boites aussi, on les a décorées avec la maîtresse des moyens. J'avais mis un peu de couleur sur ma robe à fleurs mais c'est parti. L'année prochaine, moi aussi je serai dans la classe des moyens et j'aurai le droit d'écrire mon nom sur ma boite à doudous.

 

J'aime l'école et j'adore quand c'est le moment de la kermesse. Quand je serai grande, je serai maîtresse et maman. Comme ça, je pourrai préparer des kermesses et faire des gâteaux.

 

Françoise C.

 

 " Un petit sablé à la confiture de fraise est un grand jouet pour adulte "

 

 

Carnaval

 

Quand la foule des petites fourmis vient déborder les ruelles, que des milliers de confettis collés à nos yeux décolorent nos rêves, il faut suivre la foule des acrobates, des jongleurs et des échassiers.

 

Des vagues de rires, de cris étouffés qui s’échouent au pied des estrades. Des sons monstrueux, des aigus stridents et des graves profonds font chavirer les barques des promeneurs imprudents.

 

Un candidat à la présidentielle, grand, maigre aux oripeaux de clown qui réclame le vote de chacun. Pas plus ni moins sérieux que les autres.

 

Une femme araignée qui vient vous chatouiller de ses pattes velues. Vous rêvez de la faire danser mais comment l’enlacer ?

 

Une femme télévision poursuivie par une bande de gamins joyeux.

 

Un charmeur de serpents qui surgit de sa boîte de Pandore.

 

Et de lourdes mécaniques dont les pieds de fer martèlent les cours et avenues. Des grues gigantesques, des masses de ferrailles grinçantes qui tutoient le ciel quand les vagues de la foule respirent à grand peine.

 

Puis Monsieur Carnaval qui perd peu à peu ses entrailles, qui expie ses mensonges comme autant de morceaux de paille et qui flambe.

 

Une fumée trouble et surannée caresse le vent et disparaît.

 

La terre, l’ocre des murs, les visages bariolés, le martèlement des tambours, une marche insensée, un tourbillon.

 

Autour quelques adolescents revêches, barbouillés, qui pleurent l’enfance.

 

Partout des princesses hautes comme trois pommes, les yeux chargés de fard, les pommettes brillantes, sérieuses, habitées par leur rôle. Et leurs mamans, précieuses provençales scandant la marche de leurs babils chantant.

 

Quand enfin le froid vient faire pleurer les masques, que les enfants sont fatigués de rire, on s’engouffre pour une limonade, une crêpe, un gâteau, une douceur.

 

Ragaillardis, les petits furets se mettent à galoper et la femme-télévision, les chasseurs de tigre, les Hauts de forme, les Dartagnan s’en vont déclamer des vers et la femme-araignée qui a quitté ses pattes vénéneuses peut à son tour danser.

 

Roland G.

 

 " Une petite jolie fée est une grande farce de carnaval "

 

 

Quatorze juillet

 

On y allait tous les étés. On quittait Nice, ma petite sœur et moi, on était noires comme des pruneaux après un mois de juin solaire. Maman nous mettait dans le train et on débarquait en Bourgogne où nous attendaient ma grande sœur et son mari.

 

Ils habitaient Bessy-sur-Cure, un petit village qui se résumait à une grand’rue longeant une rivière large et calme où, dans l’eau noire, sous les grands arbres, trainaient de longues lianes fleuries de blanc. Les maisons étaient grises sous leurs toits de petites tuiles rousses abruptement pentus, la vigne vierge d’un beau vert brillant échelait les façades, les étoiles du millepertuis éclairaient les allées pavées de pierres moussues comme autant de petits soleils vernis.

 

Je me souviens pêle-mêle d’un pont qui faisait le gros dos au-dessus de la Cure, d’une boulangerie-épicerie-café qui embaumait le pain cuit au feu de bois, des bouses de vache envahies de mouches vertes sur la chaussée, d’un accent où grasseyaient les « r ». On cueillait les framboises directement dans le bol de crème qu’on ramenait de la ferme avec le lait frais : on allait d’ailleurs à la ferme toutes seules même si nous étions encore petites : il passait une voiture à l’heure dans la grand’rue et les gros tracteurs ne nous effrayaient pas avec leur allure de pachydermes débonnaires et le gros monsieur rougeau qui nous saluait d’un « En vacances les petiotes ? » Là-haut, dans sa cabine en tôle.

 

C’était un dépaysement complet après le tintamarre un peu vulgaire de la Côte d’Azur, l’eau de la Cure était douce et froide après le sel et la tiédeur suspecte de la Méditerranée, on dormait si bien dans les nuits fraîches, sous une couverture, après nos insomnies dans le petit appartement niçois étouffant et le matin au réveil, le roucoulement des colombes était bien plus doux que les criailleries des mouettes …

 

Et puis il y avait l’ennui. Un ennui somptueux, abyssal, Comme je m’ennuyais ! Je m’ennuyais avec délectation ! Alors je prenais un livre. J’ai tant lu ces étés-là, je me suis saoulée de lecture !

 

Pourtant, au milieu du mois, Bessy-sur-Cure sortait de sa léthargie pour les festivités du 14 juillet. Monsieur le Maire se drapait de bleu, blanc, rouge pour son discours devant le monument aux morts, on dressait une estrade et on déployait des mètres de guirlandes électriques qu’on accrochait de tilleul en tilleul pour illuminer la place où l’on danserait.

 

Avant le bal, il y avait la retraite aux flambeaux. Tous les enfants y participaient. Le cantonnier avait coupé des perches aux noisetiers qui bordaient les chemins et on y accrochait de petits lampions de papier de couleur, des turquoises, des oranges, des roses indien, des rayés bleu blanc rouge ou en spirale multicolore comme des sucres d’orge, on allumait la petite bougie fixée à l’intérieur et on défilait en fanfare par les rues, dans la belle nuit d’été, derrière l’accordéoniste qui jouait la Carmagnole et autres chants guerriers ou révolutionnaires. On tenait bien haut nos perches, leurs petites lumières se balançaient et les gens sortaient sur le pas de leur porte pour nous applaudir. Le plus joli, c’était quand on passait sur le pont, reflétés par la rivière. Parfois il y avait un drame, un lampion prenait feu et finissait à l’eau, lâché par un enfant en larmes. Mais les larmes étaient vite séchées, on célébrait la République, c’était la fête nationale, on était très fiers d’être français et on allait se régaler du feu d’artifice.

 

Mes 14 juillet ne sont plus les mêmes aujourd’hui, la vie et ses désillusions se chargent de doucher certains enthousiasmes. Le sentiment d’appartenance nationale sent mauvais, récupéré par des idéologies que je récuse, notre république déliquescente semble n’avoir de lumineux que ses scandales, sous l’éclairage obscène et brutal des médias.

 

Reste pourtant ce souvenir d’un autre siècle, mélancolique et exaltant, l’image de ces petites lumières multicolores portées à bout de bras dans la belle nuit de juillet par des enfants ravis, entraînés par l’accordéon.

 

Anne-Marie L.

 

 " Un petit malaise est un grand nounours maquillé "

 

 

Concert De Ange
 

Les quarantièmes rugissants

Je les écoutais sur France Interl la nuit.

Le nain de stanislas, Emile, de la belle musique.

Je suis parti en avance pour être là dès l’ouverture.

Etre devant, toucher la Barrière, proche des musiciens.

Alain un ami malade est avec moi.

Il me roule une clope.

Je lui paye une bière.

Les portent s’ouvrent. C’est bon je suis devant.

Je vais faire mon concert, crier, sauter, pleurer.

A côté de moi une jolie brunette avec un t-shirt Ange

Elle a sorti ses jeans à pattes d’éléphant, j’aime.

La salle commence à chauffer.

Ange Ange Ange

Soudain plus de lumiere

Un bruit énorme, un bombardement ?

Un géant apparait sur scène en soutane noire : le Diable

Une voix, quelle voix, d’où sort elle ?

La batterie, les guitares, le piano

C’est une messe satanique.

Une chanson douce triste plus calme, Beau.

Deux filles avec des robes à dentelles, à jupons, belle époque.

Elles se tiennent la main, heureuses.

Derrière moi un gros malabar.

Cheveux longs, blouson de cuir, Santiags.

Lui aussi bouge danse mais rien de violent.

Les morceaux s’enchaînent.

Je suis dans un autre monde.

1000 personnes réunies pour une fête, serrés les uns contre les autres.

Alain s’est réfugie sur les côtés car il est fatigué

Dommage il s’était fait une joie de ce voyage.

Fin du concert.

Lumière. Tout le monde espère un rappel.

Je discute avec ma jolie voisine.

Elle est étourdie par le spectacle.

Pas envie de quitter la salle.

Une tape sur le dos : salut l’ancêtre

Alain est parti, il n’est plus là.

 

Christian P.

 

 " Une petite jolie fillette est une grande émotion à peine contenue "

 

 

J’éteins la télé

 

Une foule dense, des individus de tous âges, de toutes tailles, de toutes les couleurs, se pressent, se stimulent, s’excitent, car leur dieu va paraître bientôt sur l’estrade encadrée par un important service d’ordre.

 

Des noirs, des blancs, des latinos, des vieux, des jeunes, des enfants, ils ont tous une casquette rouge vissée sur la tête. Ils agitent des pancartes, crient des slogans que couvre en partie la musique guerrière et assourdissante diffusée dans les haut-parleurs.

 

Et soudain, encadré par quatre gardes du corps, baraqués et armés, il apparaît : grotesque, bedonnant, dans un costume bleu nuit, avec sa tignasse orange et son sourire de vainqueur. C’est une véritable ovation et des tonnerres d’applaudissements qui s’élèvent et se poursuivent pendant les minutes interminables. Une véritable ferveur se lit sur les visages.

 

Je remarque notamment un vieil homme édenté, aux longs cheveux poivre et sel, drapé dans un drapeau américain. Il hurle plus fort que les autres. Plus loin, deux jeunes filles blondes et court vêtues, agitent un drapeau ; elles ont peint en bleu son nom sur leur visage. Plus loin encore, un jeune couple portant leurs enfants sur leurs épaules, essayent de se frayer un passage pour se rapprocher de la scène où leur champion s’apprête à parler.

 

Et soudain, le silence. Il a fait un signe de la main, la musique s’est tue, il a ouvert la bouche. Un flot de paroles haineuses, misogynes, racistes et sexistes sortent de sa bouche. Et encore plus d’enthousiasme dans la foule qui applaudit à tout rompre.

 

Je me demande comment des millions d’américains ont pu élire ce guignol, cette caricature de président. J’en ai assez vu, j’ai la nausée. J’éteins la télé.

 

Dominique D.

 

 " Une petite paire de chaussettes trouées

est une grande marche pour l'humanité "

 

 

Une Foule de Pertes II : Foule

 

Depuis le début je suis la même robe, et une même robe me suit depuis le début, ainsi qu'à droite, et à gauche, tout pareil, il serait difficile d'en être autrement tellement nous sommes compressés écrasés, néanmoins notre groupe a réussi ce tour de force de rester uni, c'est loin d'être pareil pour d'autres

qui se sont perdus, se séparent encore, s'éloignent.

 

Mais ce n'est pas grave, non?

 

Pas ici.

Dès le début nous étions rangés en allées, je dirais plutôt en fleuves humains,

distincts, suivant notre pays nos coutumes, chacun sa chapelle sa couleur,

nous disons tous les mêmes choses mais pas avec la même ferveur

la même application

la même intention.

C'est le rassemblement d'une vie, d'un amour.

 

Trois heures pour faire le tour du parallélépipède magique, pour dire l'ineffable

dans la foule.

La chaleur est torride, insupportable, nous piétinons, nous avançons, nous tournons.

La sortie nous tend les bras, nous donne l'air et le regret déjà, nous partons mais tellement plus lourds et légers à la fois.

 

Quand le premier groupe nous attaque, il n'y a rien à faire pour se protéger, le mal qu'il nous fait n'est rien en comparaison de la panique qui nous emporte,

nous nous piétinons, nous nous écrasons, nous tournons en rond sans savoir où aller, nous nous tuons, oui, le tour sacré nous a rendu lourds et légers pour tuer et être tués.

Je suis enfoui sous deux corps au moins j'étouffe j'entends les sirènes de la police, des ambulances.

 

Où est le rêve, l'espoir, l'esprit, en ce jour de pèlerinage à La Mecque ?

Je ne sais pas.

Mon esprit s'engourdit avec mon corps, prisonnier, broyé.

Qu'y-a-t-il à attendre de Dieu et des hommes ?

 

La guerre a des scrupules, elle est une chose qui ne nous abandonne jamais,

elle ne compte pas aux Objets Perdus.

 

Seulement aux objets trouvés.

 

Jean-Pierre C.

 

 "Une petite notion de physique quantique

est une grande mare au fond du jardin"

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Grayscale © 2014 -  Hébergé par Overblog