Les Contes de Puck ...

 

PUCK


Il était une fois, dans une contrée lointaine, un roi et une reine qui avait plein d’enfants...

- Ah Non ! Si vous n’écoutez pas, moi, j’arrête là. Ce n’est pas celle-là que vous voulez ? d’accord.

Alors, il était une fois une petite fille qui s’appelait Marie mais que le monde entier appelait Puck.

- Et là, ça va ? OK, on y va

 

Il était une fois, Moi. J’ai 10 ans, je m’appelle Marie, mais le monde entier m’appelle, je ne sais pas pourquoi, Puck. On me dit intelligente mais, franchement, pas très jolie et que, pour trouver un mari, ça va pas être coton... Bof ! qu’importe, de mari je n’en veux pas, et grandir non plus d’ailleurs, et d’école non plus d’ailleurs, et de corvées non plus d’ailleurs, et de vêtements du dimanche non plus, d’ailleurs, et de baisers à Grand-Mère qui pique non plus, d’ailleurs, et... oui, oui, je sais vous avez compris... mais aujourd’hui, j’ai besoin de vous parce que je voudrais... écoutez bien, bande de poupons délavés, bande de peluches rappées, bande de nounours décolorés... j’ai besoin de vous parce que je voudrais, enfin... vous savez... je voudrais...VOLER !

 

Pas de panique, petits doudous tout doux, j’ai pensé à tout, oui, à tout. Il suffit, d’abord, d’une grande tour, installée au bord, tout au bord. Il suffit, ensuite, de fabriquer un grand parachute, bien solide, bien adapté à ma carrure de crevette, il suffit, alors, de grimper en haut de la tour et il suffit, enfin, si tu l’oses, si on l’ose, si je l’ose, de... croire en la chance, croire en l’avenir, croire en la magie et... sauter.

 

Allez, on y va !

 

Puck, 1m20, 30 par là, espiègle, fluette, qui s’appelle Marie mais que le monde entier appelle Puck, qui raconte des histoires, s’invente des fables, colérique, impatiente, adore l’absurde, déteste l’absurdité, rêve tout haut, pleure tout bas, voudrait grandir, croit en tout, demain tu verras, son rêve, voler, pour aller voir ce qu’il y a de l’autre côté du monde.

Elle connait le moyen : fabriquer un parachute.

 

Pour fabriquer un parachute, il faut :

- Trouver : du tissu, un torchon peut-être, oh oui ! le torchon de Tante Marthe, mais sans qu’elle ne le voit parce que Ouh la la !... sans qu’elle ne regarde sinon Patatras !... le torchon de “Tante Marthe la main leste”.

- Trouver : du fil, une aiguille, des épingles... du fil d’araignée sera parfait, des aiguilles de pin feront l’affaire et surtout, ne pas se faire épingler par “Tante Marthe la main preste”.

- Trouver : de la ficelle, de l’élastique, de la corde, du lien... nouer bout à bout les herbes du jardin.

- Trouver : le lieu idéal à l’édification de la tour, tout prêt, tout prêt du bord et surtout, n’allez pas avoir le vertige ou la nausée, ou je ne sais quoi encore, que vous ne tombiez et moi avec et que tout serait à recommencer.

- Trouver la tenue de rigueur :

des bottes en caoutchouc
un grand imperméable 
un petit sac à dos
une boite de cachou 
le carnet de voyage 
du vieil oncle Amédée
...

 

Zut ! le carnet de voyage bien caché, camouflé au fin fond du grenier surpeuplé. Il va falloir y aller sans se dégonfler et ne pas perdre de temps à le consulter, ne pas se mettre en retard à regarder ce vieux grimoire, plein d’histoires.

Ah ! c’est bête, voilà qu’il s’ouvre tout seul, tout seul à la page de... voyons voir, les Antipodes, ce pays là, de l’autre côté du monde, ce pays là, justement, wouahhh !!!

 

“ Les Antipodes, juste sous nos pieds, est un pays comme vous ne pouvez l’imaginer, un pays aux maisons étroites, étroites, et hautes, hautes, serrées, serrées... Dans ce pays des Antipodes, on marche la tête en bas et pour atteindre son étage, pas besoin d’ascenseur, suffit de taper du pied et on s’enfonce dans le ciel, hop et hop, faut bien viser pour pas louper son palier. Coup de pied et hop, hop, on s’enfonce dans le ciel et hop, hop, tourne la tête, tourne le buste, tourne les bras pour atteindre les grandes profondeurs bleues. Les Antipodes, le pays où voler est tout naturel.”

Mais alors, plus besoin de rien, juste courir, vite, jusqu’au bord et de se jeter sur l’autre face. Plus besoin de vous, bande de poltrons polochons ! juste se jeter de l’autre côté... Aïe ! Raté, c’était sans compter sur la ligne de partage entre la pesanteur de ce côté ci et l’apesanteur de ce côté là. Pas moyen de passer le pas, on a beau essayer, pas moyen, c’est à désespérer.

Alors ? Creuser, creuser au centre. Quand le trou sera assez grand, en plongeant dedans, on devrait bien se retrouver en train de voler, aux Antipodes.

 

Mais, mais, qu’est-ce cela ? des lombrics ailés, une multitude, et qui grossissent à chaque pelletée, plus on creuse, plus ils profitent, on s’en sortira jamais, c’est sans espoir... sauf ! sauf à les apprivoiser, les amadouer, leur expliquer l’absolue nécessité d’aller de l’autre côté, mais, creuser, ça, ils ne voudront jamais. Et Tante Marthe qui court partout et qui n’arrête pas de crier “ Rentre à la maison, viens faire tes devoirs, lave toi les mains, RENDS MOI MON TORCHON !!!”

 

Comment se sortir de cette situation, Puck, toute déconfite et le sol jonché de gros lombrics ailés tout éplorés...  ?

Mais, voilà que les lombrics géants s’envolent, aggripés au torchon et Puck qui s’agrippe aussi et Tante Marthe qui s’agrippe aussi et on décolle, on file au bord du monde, Puck, le torchon, les lombrics, Tante Marthe et juste au passage de la ligne entre l’apesenteur et la pesenteur, tous les lombrics, tous ensemble, dans un grand soupir et un tourbillon de fumée, retrouvent leur toute petite taille originelle... et Puck est projetée par cette improbable catapulte, les yeux fermés, les poings serrés... JE VOLE !!!... et... Platchchch !!!

 

“Mais, qu’est-ce que c’est ce raffut ? qu’est-ce que tu fais par terre ? recouche toi”.
 “Oui, tante Marthe, bonne nuit, Tante Marthe”.

 

“Chut, les oursons, pas de bruit, les oursons, nous, on garde le torchon”.

 

Camille R.
 

 

 

Puck-Angelina, la ballerine


Il était une fois, Puck-Angelina, la ballerine.


Grande et svelte, elle possédait un fichu caractère.
D'origine slave, elle était née dans un petit village près de Saint
Petersbourg. D'un milieu simple, elle avait eu beaucoup de mal à
trouver sa place. Fière, empreinte de cette dignité qu'ont les
personnes démunies, elle se forgeait sa propre personnalité. Arrivée à
la capitale depuis 6 mois, de sa grâce féline et animale, elle avait su
ravir la troupe de ballet de l'Opéra de Paris. Non seulement,
danseuse, Puck-Angelina jouissait d'une voix splendide, charnue avec
un timbre grave de toute beauté. Mystérieuse, toujours à l'écart, seul
Ruben, magnifique danseur étoile trouvait grâce à ses yeux. Les
autres danseuses jalouses et méprisantes ne comprenaient pas ce
pouvoir, cette aura, qu'elle dégageait.


J'aimais beaucoup Puck-Angelina, elle me fascinait.
Le bruit courait qu'elle n'était pas ce qu'elle prétendait être.
Deux hommes de la mafia russe rôdaient autour de l'Opéra, ils étaient
à la recherche d'un certain Rodolphe.


Le soir suivant, deux danseuses font irruption dans la loge de Puck-
Angelina :
- On sait qui tu es
- On sait, que tu dois de l'argent à la mafia russe
- Tu t'en vas, après le spectacle ou on te dénonce
Puck-Angelina gardait son calme, stoïque, elle les regarda dans les
yeux et les hypnotisa :
- Je compte jusqu'à 5 - 1 2 3 4 5
- Non seulement, vous aurez tout oublié mais vous allez convaincre le
reste de la troupe de nous accompagner en Irlande.


Ainsi démarre notre périple, vers un retour initiatique.


Aux abords de l'aéroport, une lumière bleue intense envahie l'espace
aérien. Elle paralyse tout le personnel et les voyageurs.
Plongés dans cette tourmente pendant plusieurs heures, les espoirs
restent vains. Quand un vol, d'une centaine d'oiseaux surgit et vînt
miraculeusement balayer le ciel et l'éclaircir d'un bleu clair et limpide.
Le voyage pouvait réellement commencer.
Nous avions rendez-vous avec l'histoire, nous allions changer le cours
de l'histoire.


Puck-Angelina avait entendu parler du manoir d'Irlande et de sa croix
magique, tout en haut de la falaise qui surplombe l'océan.


Après une journée de voyage, nous arrivons enfin, tout en haut de
cette falaise, face à un manoir gigantesque. Tout à coup l'histoire nous
sautait au visage, ces vieilles pierres transpirées, elles avaient l'air de
nous dire :
- Je sais tout de vous, je vous observe
Prostrés comme des statues, le vent nous caressait le visage.
Face à la mer, une croix énorme avec 2 bras et une bouche se mettait
en mouvement. Elle nous obligeait de sa voix à nous tendre les mains,
les bras en croix. Puis, elle nous dit :
- La danse des incantations peut commencer
- Puck-Angelina, tu as toujours voulu être une fille


Le chœur :
Puck-Angelina, tu as toujours voulu être une fille
- Par nos incantations, nous te déclarons, fille à la naissance
Le choeur :
Nous te déclarons fille à la naissance (bis)
- Que toutes les mauvaises pensées soient à jamais éloignées de toi


Le chœur :
Toutes les mauvaises pensées à jamais éloignées de toi (bis)
Nous avons passés la soirée dans le manoir et nous avons créés
cette nuit là, le plus beau ballet qu'il soit : " La naissance d'une fille
bleue ".


De retour à l'Opéra de Paris, le ballet fut présenté au public.


Cela fait, six ans aujourd'hui que ce spectacle existe et qu'il est joué
dans le monde entier.


Ruben et Puck-Angelina se sont mariés et ils ont adoptés 2 enfants.
Pucky et Ruby.

 

Mamia C.

 

 

 

Métamorphoses


Il était une fois une étincelle dans un œuf et c’était Puck.  Juste une étincelle, comme vous et moi au début, juste un espoir, juste un enfant.
Une fille ? Un garçon ? Puck ne sait pas encore, là n’est pas la question, Puck décidera plus tard, le moment venu, pas maintenant, pas tout de suite.

 

Agile, intrépide, Puck escalade la table et se jette contre sa grand-mère quand elle chante :
Ange bel ange 
Saute dans mes bras
Si tu ne sautes pas
Le diable te prendra ! 
Puck se moque du diable, d’ailleurs, c’est qui, le diable ?

 

Puck veut savoir la raison de chaque ordre  et n’obéit que si la raison est juste.

 

Avec Papa, tout est simple. Debout sur ses épaules, Puck attrape les étoiles du bout des doigts.
 Avec Maman, c’est difficile. Maman est toujours pressée, elle est très occupée. Puck n’est pas sage, Puck n’est jamais assez rapide, assez autonome pour Maman. Puck n’arrive pas à devenir tout à fait l’enfant que désirait Maman, Puck salit  ses vêtements, fait des caprices, hurle. Maman gronde et Puck se  demande si Maman l’aime.
Sensible aux courants d’air, sensible aux courants d’âme, parfois le cœur de Puck s’enrhume. « Si Maman ne m’aime pas, qui m’aimera ? Suis-je seulement aimable ? »

 

 C’est une si lourde question !

 

Alors, avant d’être clouée au sol par l’angoisse et le doute, Puck s’envole. Puck  quitte la maison et s’en va de par le monde pour escalader les plus hautes montagnes. C’est si bon d’aller  vers le sommet pour découvrir ce qu’il y a là-haut, ce qu’il y a derrière ! Un pas après l’autre,  le cœur aventureux de Puck déborde de bonheur.

 

Et voilà qu’enfin Puck devient une fille le jour où Hugo, un jour de blizzard,  avant une ascension, remonte la fermeture Eclair de son anorak jusqu’à son  menton pour qu’elle n’ait pas froid. Hugo est beau, Hugo est fort, il s’élève dans la paroi et Puck le suit de prise en prise. Elle se le promet, elle le suivra ainsi  la vie entière … 
Puck aime Hugo, elle le sert, elle l’assure, elle l’essence, elle confectionne pour lui des gâteaux de riz pleins de raisins secs et de fruits confits, remplit sa gourde de thé bouillant et le soir, au bivouac, au creux du duvet, elle réchauffe les pieds d’Hugo entre les siens.
Puck est heureuse, elle est sans questions, elle est aimée, enfin elle est aimée.
Jusqu’au jour où Hugo, lassé d’être servi, tombe amoureux d’une autre fille et quitte Puck.

 

Puck alors perd pied, lâche prise, dévisse de la falaise, tombe comme un oiseau dont on aurait rogné les ailes et s’écrase en bas.

 

Quant elle se réveille, elle est dans un monde blanc, comme figé dans la glace. Elle est  prisonnière d’un corset, de gouttières, de bandages qui la sanglent, la contiennent, l’immobilisent. Seuls ses yeux peuvent bouger.
Dans sa détresse, Puck accroche son regard au reflet qui brille sur la carafe posée sur la table de nuit. C’est ce reflet qui, pendant des semaines, des mois, maintiendra Puck en vie. C’est sa lumière au bout du tunnel, son petit soleil personnel qui lui dit que, hors de l’hôpital, le printemps  succède à l’hiver et l’été au printemps et que l’été l’attend.  
C’est ce reflet, au ventre de la carafe, qui la désaltère quand elle revient des séances de rééducation qui la laissent en sueur, épuisée.


C’est ce reflet qui donne un prétexte honorable aux larmes de Puck,  « Oh pardon, j’avais le soleil dans les yeux ! » quand on lui apprend qu’elle ne marchera plus jamais, que, désormais, de la taille aux orteils, elle est guimauve, elle est chiffon.
Une nuit, bousculé  par le pinceau des phares qui balaient le parking sous la fenêtre de la chambre, le reflet glisse jusqu’à l’écran accroché au mur, en face du lit de Puck.  Puck allume le téléviseur.


C’est alors que, dans le rectangle noir qui peu à peu s’éclaircit, c’est alors qu’apparait l’Ecuyer. Comme il parle de ses chevaux, cet homme, comme il les aime, comme il les donne à voir ! Les croupes luisantes, les encolures arquées, les crinières et les  queues comme des traînes de comète dans la lumière des projecteurs et, sur leur dos, ces filles et ces garçons qui sourient à lèvres closes, portés, transportés par tant de grâce et tant de force !

 

Il pleut des cordes, le jour où Puck  arrive enfin à Aubervilliers. Un orchestre de bric et de broc  se déchaîne, installé sur la ridelle ouverte d’un camion. Un troupeau d’oies en colère  la précède en caquetant. Une fille vêtue d’une robe de velours rouge dont l’ourlet traîne dans la boue, l’accueille, superbe, avec un  grand sourire. Les roues du fauteuil de Puck s’enlisent, des filles et des garçons en bottes crottées sortent des écuries et la poussent, à hue et à dia, jusqu’à la roulotte de l’Ecuyer.

 

Demain, on hissera Puck sur le dos d’un grand cheval noir, le plus sage.  On lui bricolera un harnais pour la maintenir en selle. Demain, Puck oubliera ses jambes mortes. Sous elle, la grande bête tranquille réchauffera ses membres, insufflera sa puissance à ses reins affaiblis, imprimera doucement à son buste raide,  le rythme à trois temps du petit galop sur le cercle.  
Et le travail fini, la grosse tête aux yeux si doux se penchera vers Puck assise dans son fauteuil, redevenue infirme, et les naseaux frémissants promèneront lentement sur son visage extasié, le souffle même de la vie.

 

La piste est ronde, elle est noire. Papa et Maman sont assis tout au bord du cercle. Le galop du carrousel qui s’achève a poudré leurs genoux de sable. Voyez Papa, il a beaucoup vieilli, l’accident de Puck lui a broyé le cœur. Maman s’est durcie, elle s’en veut pour toujours de n’avoir pas su protéger  sa fille « Mais  comment, désormais, se demande-t-elle, comment vivre avec cette enfant, si peu conforme à son enfant rêvée ? »


Le cheval noir s’avance  dans la lumière au centre de la piste. Il commence à piaffer, pivotant lentement sur lui-même, l’encolure arrondie, le chanfrein droit, l’avant-main légère, toute sa puissance dans ses hanches abaissées, il danse sur place. Et voyez Puck, si mince, juchée  sur la grande bête, retenue au large dos par une toile d’araignée en fil d’argent. Voyez comme elle est belle, voyez la rectitude de son dos, la ligne de  ses épaules bien prises dans son juste-au-corps noir, voyez ses courts cheveux en copeaux sur son front capturant la lumière, voyez son sourire ! Mais Papa et Maman ne voient plus rien, leurs yeux débordent  de larmes.

 

Tout à l’heure, en coulisses, Papa prendra Puck dans ses bras pour l’aider à descendre. « Ange bel ange, saute dans mes bras… ». Il l’assiéra doucement dans son fauteuil. Le cheval tendra l’encolure pour attraper sa récompense, une pomme coupée en quartiers, au creux des genoux de Puck et Maman, de l’amour plein les yeux et si fière, dira tout doucement, à l’oreille de sa fille : 
« Je ne savais pas, ma chérie, je ne savais pas que  j’avais mis au monde un petit centaure ! »

 

Anne-Marie L.
 

 

 

Neuf vies


   Assis sur les marches en bois de la terrasse de sa maison, Puck regardait le chiffre neuf sur l'arcade en fer au-dessus du portail d'entrée de sa ferme.
Ce neuf était vieux, usé, effrité, non pas qu'il soit devenu un huit, il ne pouvait pas régresser, mais ce vieux neuf n'était pas entièrement neuf, il en manquait.
Les Neuf Vies, c'était le nom entier en fer forgé qui s'écrivait dans le ciel au-dessus du portail.
Cela turlupinait Puck parce que, pour en arriver à ce moment où il est assis sur les marches de sa terrasse il lui avait bien fallu neuf vies, et si le neuf disparaissait il avait peur qu'il lui en faille une dixième et qu'il doive à nouveau passer par l'épreuve de la mort.

 

Jeune marié, il avait traversé les océans en bon émigrant, venant de France, et avait échappé à un naufrage au large de Terre-Neuve, arrivé aux États Unis il avait dû se battre pour ne pas mourir de faim, établi en Louisiane il avait survécu à un ouragan terrible, sa maison dévastée alors que sa femme accouchait de son fils, puis il était allé s'établir à Demopolis en Alabama parce qu'il croyait 
l'Alabama là-bas c'est pas mal, et Demopolis avait été fondée par des soldats français de Napoléon Premier après Waterloo, Demo pour démocratie, une part de la Révolution française était là.
Mais Puck ne devait pas encore trouvé la tranquillité, il fut obligé de déterminer son camp, la guerre de sécession éclata.


L'expression  "Être au milieu de nulle part"  chère aux américains n'avait aucun sens pour lui, où qu'il soit il devait se battre et se battre et affirmer sa propre existence, le monde était là où il était, et ce n'était pas  "Nulle part".
Revenu de la guerre il avait réussi à faire prospérer sa terre et à se faire accepter par les américains du coin, les vrais, irlandais ou anglais qui l'avaient précédé et avaient chassé les premiers français.


La vie avait continué, son fils grandi, avait fondé une famille, avait eu cinq enfants, deux garçons, une fille, un garçon encore et puis une fille enfin qui actuellement jouait aux pieds de Puck au bas des marches de la terrasse.
Et puis ce fils était mort de la malaria, emportant avec lui sa propre femme et la femme de Puck.
Puck était resté seul dans sa grande ferme avec ses cinq petits-enfants.
Et aujourd'hui il attendait les quatre plus grands, assis sur les marches en bois de sa maison.

 

Quand les trois garçons et la grande fille revinrent et qu'ils lui annoncèrent qu'ils s'étaient tous engagés pour partir à la guerre qui faisait rage en Europe, Puck fut abasourdi, mais il ne dit rien, comme d'habitude, parce que depuis la mort de son fils il préférait se taire.
Jovial et chaleureux et aimant, Puck l'était, mais comment imaginer sa jovialité sans paroles, c'est difficile, mais les gestes et une magie précise de l'écoute avaient remplacé la plupart des mots.
Néanmoins les mots il les écrivait, dans un journal il avait écrit sa jeunesse en France. Ses petits-enfants l'avait lue et avait fantasmé cette France si éloignée si étrangère si bizarre si exotique, et ils partaient en guerre pour sauver ce qui pouvait l'être de la Jeunesse de leur grand-père.

 

C'est un Puck muet qui les regarda partir un matin, tenant par la main sa plus jeune petite-fille, debout au milieu de la cour de sa ferme.
Les jours qui suivirent furent mornes malgré les champs le bétail.

 

Quand tout à coup, une panique prit Puck, comment, comment avoir vécu neuf vies et laisser partir ainsi ses petits-enfants vers la mort, sans rien faire sans rien dire?
Il laissa sa petite-fille à la ferme, sous la protection de ses ouvriers, qui s'occuperaient bien d'elle allez!!! Et il partit à la grande ville pour essayer de rattraper les va-t-en-guerre.

 

Puck avait oublié ce qu'était une grande ville, son bruit, ses rues, sa multitude, il se sentait perdu, comment retrouver ses petits dans ce charroi?
Mais surtout il devait se remettre à parler, et sa voix sortait roque, âpre, et elle hésitait dans cette langue qui n'était pas sa langue maternelle.
Un sergent recruteur lui expliqua que le 9eme Régiment de Cavalerie était déjà parti, qu'il était à présent au milieu de la mer qu'il n'y avait plus rien à faire, que lui n'avait pas que çà à faire et qu'on lui foute la paix!
Á quoi servaient les mots ici en temps de guerre, de quoi devaient-ils convaincre?
-Puck dit "Je ne les reverrai pas alors?"
-Non.


L'eau séparait Puck de ses petits-enfants comme jamais il n'aurait pensé que cet élément vital puisse le faire, et il ne pouvait s'y résoudre.
Un autre sergent recruteur l'écouta attentivement, il entendit la détresse d'un vieil homme, il avait peu de paroles réconfortantes à lui dire, tout ce qu'il put proposer, mais c'était de la folie! C'est que Puck continue son voyage.
Il y avait une solution, pour cela Puck devait servir d'accompagnateur aux chevaux qui étaient envoyés sur le continent européen, ainsi il pourrait rejoindre ses petits-enfants.
Le sergent falsifia un laissez-passer pour que Puck puisse embarquer car il était bien vieux pour un tel emploi.
Restait à signer le document... si Puck était d'accord...
Puck pensa à sa petite-fille qu'il laissait à la charge et au bon vouloir de ses ouvriers et de leurs familles, puis il pensa à cet océan qu'il allait traverser en sens inverse à rebours de sa jeunesse jusqu'à la naissance de ses espoirs, et puis il pensa à ses petits-enfants bien sûr.

 

Il ferait un seul voyage, un aller-retour,, il irait au bout de sa panique, et maintenant que sa parole était déliée maintenant qu'il retrouvait les mots il irait leur dire ceux qui conjurent les malédictions, il les connaissait tous, ceux qui protègent ceux qui bénissent là où Dieu se taisait au lieu de départ de ses neuf vies où ne régnaient plus que l'absurdité et la mort.
Puck prit le document et signa, sous la date.
C'étai le 11 novembre 1918.

 

Assis sur les marches en bois de sa maison, avec ses cinq petits-enfants, Puck regarde le chiffre neuf tout neuf sur l'arcade en fer au-dessus du portail d'entrée de sa ferme.
C'est le chiffre que lui ont offert les soldats en revenant de France, en revenant du front qu'ils n'ont jamais atteint, parce que l'armistice avait sonné, c'est le chiffre du 9eme régiment de cavalerie.
Et c'est surtout le chiffre, tout neuf, qui les réunit tous,
pour une vie,
un espoir,
qui annonce une éternité.

 

Jean-Pierre C.

 

 

 

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