BONUS autour du 1er avril

QUELQUES BONUS


Textes (très sérieux ou beaucoup moins sérieux)

reçus autour du 1er avril 2020

 

 

Voici, prise sur le vif, une photo extrêmement rare,
d'un banc de Poissons hameçon en pleine action


Le premier de la file
est un poisson pilote

Le second pose toujours ses conditions
en bon poisson si

Le troisième n'arrête pas de danser
le poisson chatchacha on l'appelle

Le quatrième passe son temps à fredonner les deux même notes
et s'arrête parfois d'un coup
c'est la ré sur image

Le cinquième est complètement fou
un poisson marteau

Le sixième est un petit coquin facétieux
un vrai poisson d'avril

Le 7ème et les suivants sont invisibles encore...
qui sont-ils ?
...

 


Anne

 

 

Les murs qui enferment et les murs qui parlent 
Lundi 23 mars 2020 – Jean-Pierre Curnier

 

Je me suis levé tôt ce matin. J'avais à faire.
Par ces temps particuliers, sortir devient un acte réfléchi, on s'y prépare, on l'attend, on attend le bon moment.
La ville émet un faible brouhaha.
On s'habitue au silence.
Rapidement.
À tel point que, une voiture passe soudain dans la rue, et on souffre de ce bruit, on attend impatiemment qu'il s'évanouisse.
Mais cela c'était surtout hier, Dimanche, un silence de ville morte régnait, ou un silence de ville en jachère, un silence de ville qui retient sa respiration dans une cachette.
Ce matin, le bruit de la vie, lointain, fragile, est un souffle de nouveau-né, à peine perceptible, innovant, qu'on a du mal à reconnaître.
On entend mieux la musique des oiseaux, est-ce un début de réduction des inégalités ?
Je me suis rasé, j'ai pris une douche, je me suis habillé de vêtements propres, dans mes poches j'ai mis une paire de gants jetables et un masque, J'ai pris mon sac, mon chapeau, et je suis sorti sur mon vélo direction la pharmacie pour renouveler un médicament épuisé.
En milieu de matinée, passée l'heure où ceux qui travaillent encore ont rejoint leur poste, les rues sont désertes.
Dans une petite cour, trois enfants emmitouflés s'ennuient, l'un joue avec un balai, un autre, tout petit, fait des pas vacillant, il a assez à faire pour ne pas s'inquiéter du monde comme il va, une jeune fille soupire.
Sur mon parcours j'aperçois de petites affichettes de la taille d'un autocollant scotchées sur des poteaux ou façades de maison.
Je m'arrête, je suis intrigué.
Il est étonnant que dans cette période d'isolement, où la communication par mails et autres réseaux prend son sens véritable, sa dimension utile, on communique encore à l'aide de papiers collés sur les murs.
Cela me fait penser aux inscriptions découvertes sur les murs de Pompéi, est-ce que pendant cette semaine de réclusion, le monde, la ville, ses murs, auraient remonté le temps deux mille ans en arrière ?
L'affichette dit ceci :

                                           TRÈS  IMPORTANT
                                       ai   perdu   pochette   jaune
                                    avec   papiers   dans   le   quartier
                                  En   ai   besoin   pour   survivre
                                   tel  06 …....
                                                            Merci

 Dans un autre temps, mais il n'y a que quelques jours, je ne me serais pas arrêté, en général, les affichettes sont collées aux vitrines des boulangeries ou des bureaux de tabac, perdu chat, perdu chien, mais aujourd'hui, dans ces rues désertes aux bruits feutrés, un message qui papillonne dans le vent et qui dit "J'en ai besoin pour survivre" , est un cri.
Survivre.
C'est bien ce que l'on fait depuis une semaine, un embastillement pour briser une chaîne et faire que d'autres survivent.
C'est en tout cas, ce que l'on nous a expliqué, et contre toute attente, c'est ce que nous avons fait.
Pourquoi ? Comment ? Quel est le véritable but de tout cela ?

Mais "besoin de papiers pour survivre" .
Quelle était l'importance vitale de ces papiers, quels étaient-ils ?
 Une lettre d'amour.
Une lettre d'amour peur aider à survivre, la lettre d'un amour fini, gâché, mais le souvenir de l'amour quand il a commencé. Une lettre d'amour écrite pour voyager, pour accompagner le voyageur, tendres objets, un ami voyageait toujours avec une culotte de sa femme dans ses bagages.
Une lettre d'amour non envoyée, qui devait rester cachée 
     "Sot que tu es ! Pourquoi cacher ton amour ?" .
Une photo.
Celle de cet amour.
Une photo d'enfants. Il ne les voit plus : "Qu'as-tu fait, ou pas fait, ou mal fait ?" .
Une lettre, une dette.
"À qui dois-tu de l'argent ?" . 
De l'argent ? De l'honneur. C'est une dette d'honneur.
Que disait la lettre déjà ?
« Rendez-vous tel jour telle heure tel endroit tel pays, tu devras rencontrer un tel une telle et tu devras » quoi ? Que devais-tu faire de si important, de si contre nature que tu devais le lire et le relire sans cesse pour t'en persuader ? Mais la lettre est à présent perdue.

Les mots "Pochette jaune" me préoccupent.
J'ai un manuscrit dans une pochette jaune, mon dernier livre.
Si je devais le perdre, j'en serais désespéré, mais je pourrais survivre, on survit toujours à nos exutoires. Je serais obligé de tout réécrire, et peut-être, certainement, n'écrirais-je pas la même histoire, la même fin, je ne sais pas.
Je repars sur mon vélo, j'arrive à la pharmacie.
La pharmacienne porte un masque, j'ai mis le mien en place avant d'entrer, je lui demande si  je dois mettre mes gants, je n'ai pas eu besoin de les mettre avant car les portes sont électriques coulissantes, elle me dit que ce n'est pas la peine, je ne vois que ses yeux, elle a de très longs cils qui me font penser aux voiles de soie des nageoires des poissons chinois, ses sourcils sont imprimés, elle est charmante. Ses mains nues sont apprêtées, et dans un éclair je me demande si je suis dans une pharmacie ou dans un salon d'esthétique.
Une chance, dans ce quartier les femmes du bureau de tabac, de la boulangerie, et donc de la pharmacie sont absolument charmantes.
Parfois je me dis « Du haut de ton grand âge tu es à l'affût du moindre jupon qui passe » , mais non, il n'y a aucune prédation en moi, leur charme est indépendant de moi. Elles sont.
Je montre de loin l'affichette à la pharmacienne, elle me dit que non, elle ne sait pas, personne n'est venu lui demander quoi que ce soit, et si d'aventure il y avait eu des ordonnances dans la pochette perdue, elle n'aurait rien pu faire. Sans ordonnance...
Je rentre chez moi.
Toute la journée je pense au message.
L'écriture en ressemblait à la mienne.
J'ai peut-être une double vie, une vie où je vais chercher des médicaments à vélo, et une autre, inconsciente, où je dois survivre à un chaos insoupçonné.
J'ai peut-être aussi un sosie, qui a écrit un livre, l'a perdu, et qui, lui, ne peut vivre sans, car réécrire son histoire le tuerait.

Je compose le numéro qui était inscrit sur l'affichette.
Dring.
-Allô oui ? 
C'est un homme.
-Bonjour, excusez-moi de vous déranger, mais j'ai vu l'affiche que vous avez posé dans le quartier, et je me demandais en ces temps troublés si ce n'était pas un appel de détresse, quelqu'un dans un embarras tel, et excusez ma curiosité, mais quelles sont la nature et l'importance si grande de ces papiers pour que ce soit une question de survie.
L'homme aurait pu m'envoyer balader, de quoi je me mêle, mais il rit.
-Non, ce n'est rien, il rit encore, dans la pochette il y avait ma carte d'identité et mon permis de conduire, je suis artisan, il y avait aussi mon agenda, mais c'est très touchant votre appel, c'est vrai que par ces temps compliqués, refaire des papiers, les clients, on ne se déplace pas comme on veut, c'est compliqué... Mais je vous remercie, ça ira.
Il répète « C'est très touchant » .
Au-delà des murs, un monde solitaire mais un monde d'écoute de compréhension, ce monde existe encore, je viens de le rencontrer.

 

Jean-Pierre C.

 

Ma monture
Christian Pellier

 

Je suis né dans une usine en France
Made in France
Peint à la main, garanti un an
Equipe Shinano ultegra, roues mavic, pneus en 23
Sans frein à disque
Mon nom est TIME Ventoux
Ma naissance remonte à l’année 2017
Au rallye des bosses du contat
Mon père venait d’avoir un petit accident cardiaque
Il  roulait alors sur un collègue Orbea noir
Devant lui un autre fondu pédalait sur un vélo de ma famille Time
Il était noir et rouge
Mon père a pensé : si je résiste un an 
Je commande un time rouge
Et il a tenu sa promesse
Ma gestation a duré trois mois, le temps que toutes les fonctions vitales se forment
Le chef de clinique à annonce a mon père qu’il pouvait venir me voir
Il était content : comme il voulait, rouge et blanc, léger, souple
Nous sommes sortis de la clinique
Il était fier de moi
Maintenant, il fallait que je lui montre comment
Nous allions voyager tous les deux
Et depuis nous  avons parcouru  des kilomètres 
En haute Savoie, dans le puy de dôme,
Et surtout  je l’ai transporté  au sommet  de SON col 
Le Ventoux
Mon père est content de moi, il me parle souvent
Petit vélo bonjour, a demain, un petit coup de chiffon et de parfum
Il y a quelques  jours nous avons eu un accident
Mon père était distrait, dans son tripe !
Nous sommes rentres dans une voiture
Miracle, nous sommes toujours la
Moi, ma roue avant tordue
Lui plein de courbatures,
Mais je ne comprends pas
Depuis trois semaines je suis là  seul, roue avant détachée
Mais nous ne sortons pas
J’ai fait quelque chose de pas bien ?
J’ai toujours été Bien avec lui
Peut-être n’ai-je pas été assez bon, généreux doux
Pas assez de Bonté ?
Aux dernières nouvelles, j’ai entendu qu’un connard invisible frappait  
Donc tout le monde est confine
Je suis jaloux car hier il est monte sur mon gros collègue à gros pneus
Ne me quitte pas
Bonjour à tes amis écrivants

 

Christian P.

 

Je hais la famille

Roland Grandet

 

   Ma vie est devenue un enfer ! Tout ça à cause d’un lointain cousin. Franchement la famille j’ai toujours trouvé qu’il fallait la supporter par amabilité. Vous connaissez la formule : «  On ne choisit pas sa famille. » et je souscris complètement à cette assertion. Alors parce que cet énergumène, profitant des largesses de la communication mondiale a décidé de coloniser mon pays, oui je ne renie pas ce mot car il s’agit proprement, enfin plutôt salement d’ailleurs, d’invasion, d’agression même. 
    Vous avez entendu parler du rapprochement familial ? Et de ses abus ? Et bien on y est .Il y en a un qui se pointe, bon on lui trouve une petite place, sur un carton, dans la rue ou sous un pont. Enfin bref on l’accueille et vlan il vient pleurnicher qu’il s’ennuie, que ses frères et sœurs lui manquent et patati et patata. Bien ! Nous, bonne pomme, on lui dit oui, il reste des cartons sous le pont et on laisse faire. Bref mon cousin covid , c’est un futé : il s’est dit qu’il allait se gaver d’allocations familiales et il s’est incrusté.


   Ce n’est pas la première fois que les membres de ma grande famille ont joué ce coup-là mais je ne vais pas vous faire un cours d’histoire. Honnêtement je pense qu’il y a de la place pour tout le monde à condition d’être discret.
   Moi, par exemple, je vis dans cet appartement depuis le mois de septembre. Il y a bien des jours de frénésie ménagère qui m’oblige à me planquer derrière le canapé ou sur l’étagère tout en haut de la penderie mais c’est de bonne guerre, j’y suis préparé. Je prends mon baluchon, un bon livre, un casse-croûte et j’attends que ça se calme. Je ne crois pas que les humains que je côtoie y aient trouvé quelque chose à redire. C’est de la cohabitation pacifique entre cellules vivantes bien élevées.


   Pour en revenir à Covid, lui il s’est cru le roi du monde. Il s’est dit qu’il allait danser la samba, s’éclater et tant pis pour les humains ! 
   A la limite pourquoi pas ? Les humains moi je les jamais trouvés ni drôles ni intéressants. Je dirai même plus ; au début ça m’a fait rire. Oui je le reconnais, quand j’ai senti le vent de panique se lever et de les voir s’éparpiller en glapissant, eh bien oui, j’ai trouvé la blague amusante.


   Mais voilà, c’est toujours la même chose quand on ne pense qu’à soi ! On ne voit pas le boulet arriver. Car les humains tout teigneux et péremptoires qu’ils sont ont décidé de ne pas se laisser faire. C’était couru mais ce qui l’était moins c’est que nous les virus de bases, les trouffions de la République des virus on allait en prendre plein la figure !


    Allez, je vais parler de moi parce que c’est encore le virus que je connais le mieux. Toute la journée, on me traque à grand renfort de javel, de savon, d’exfoliant, de gel et j’en passe. Tiens, tout à l’heure j’ai voulu prendre l’ascenseur pour aller faire un tour au pied de l’immeuble, eh bien je m’en suis sorti de justesse…pas moyen de me fixer sur le bouton, toutes les surfaces étaient savonneuses. Je ne dois ma survie qu’à un bout de godasse sur lequel j’ai atterri. Mais là ce n’était rien, je fais comment moi pour remonter ?  Il a fallu que j’attende quatre heures du matin quand un insomniaque imprudent est descendu sans nettoyer le bouton d’appel ! 


   Franchement c’est pas une vie, on n’avait rien vu venir. On pataugeait dans le confort et l’insouciance .Purée !, C’est juré qu’on s’y fera plus prendre. Mais nous aussi on n’a pas dit notre dernier mot. On commence à se réunir entre nous. A 20 heures tous les soirs, on sort sur les balcons et on s’envoie des messages. On va reconstituer le syndicat des virus qu’on avait mis en veille depuis 1919. Non à la tyrannie de Covid !
 Virus de tous les pays, unissons-nous !

 

Roland G.

 

 

 

 

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