Partages créatifs 2

Ecrire ce que votre cœur vous dicte en ces étranges heures 

 

 

Pour qui ?

Pour des personnes « en première ligne », actives, exposées.

Pour quelqu'un.e en particulier, pour quelques un.es, pour un ou des corps de métiers, 

pour des inconnu.es ou des personnes que vous connaissez.

Pour vous-même si vous traversez ces heures en étant concerné par le sauvetage ou l'écueil de santé.

 

Pour quoi ?

Pour partager vos encouragements,

offrir votre soutien, votre admiration, dire votre respect,

envoyer vos pensées positives, vos « good vibes », vos belles vibrations.

 

Et plus et moins et mieux et autrement

et comme vous dicte votre cœur...

 

 

Solidarité


T’étais où, tu faisais quoi ?

 

Quoique tu en dises, on a plus parlé de toi depuis les attentats

T’avais disparu jusqu’à l’épidémie

Miracle tu es revenue, tu as enfin compris

Pris en compte les misères, les souffrances

En ce moment particulier on a trop besoin de toi

De toi à moi ils sont fabuleux ces soignants, tout le corps médical

Calmement ils accueillent, patiemment ils soignent, tentent de guérir

Rire c’est pas facile pour eux, pourtant ils y arrivent un peu

Peut-être grâce aux repas offerts par les traiteurs, les restos

Tôt ou tard tout le monde va les encourager, les aider

Dès la tombée de la nuit, faites du bruit, ils entendent

Tant d’applaudissements au loin sur les balcons

Qu’on aimerait aussi pour tous ceux qui travaillent

Vaille que vaille pour qu’on puisse manger

J’ai plein d’admiration pour ces héros discrets

Réagissez, soyez solidaires, rejoignez les

 

Laissez-lui enfin sa place, elle est de retour, la solidarité.

 

Dominique D.

​​​​​​​

 

Fils


Mon fils est loin
j'entends sa voix au téléphone
mon fils est seul
je suis seul de lui
mon fils sa voix
sa voie
loin de moi
le fil du jour
le fil le lien
le téléphone
filet de voix
le fil de sa route
le fil du temps arrêté
compressé
tendu
sa maison
à bâtir
incertain
à tâtons
téléphone
je voudrais le serrer dans mes bras comme un père un ami 
mon fils est près
rires
mon fils
soleil
mon fils rit
sa maison 
la mienne
sa maison
il la cherche
l'imagine
partir
mais pour du mieux
mais pour lui
sa maison doit être lui
cherche
ma maison son aire pour l'instant
il est là
mais je ne peux le serrer dans mes bras
mon fils est loin
ne demande rien
murmure l'essentiel
n'ose
j'écoute
mon fils explique avec des gestes
il affirme
épisodes masque gants masques gants masques gants
regards de haine dehors, dehors c'est, je ne sais pas
ou pas de regards
cynisme
le refuge me tend les bras, là, le monde n'existe pas
n'existe qu'en images 
impuissance
où est le monde
ceux qui souffrent 
ceux qui se battent
l'arrière garde désœuvrée
en jachère
l'explosion arrivera bien
elle sera tonitruante 
la joie les amis les liens
réunis
mes fils.

 

Jean-Pierre C.

 

Mon confinement à moi

 

Les adultes sont incompréhensibles ! J’avais harcelé mes parents pour qu’ils m’achètent des billes, agates et bigarreaux. J’avais réussi à obtenir ma foi une assez belle collection et même une trousse supplémentaire pour contenir mon trésor. J’avais bien l’intention de devenir le roi de la cour de récréation et je m’étais endormi dans les meilleures dispositions possibles jusqu’au rêve du petit matin qui m’avait laissé des souvenirs embrumés de gloires à venir.
D’habitude maman vient me réveiller en déposant une bise sur mon front et en laissant son parfum se répandre sur ma couette. Aujourd’hui la maison est calme comme un dimanche matin. J’en sais assez sur le calendrier pour savoir que ce ne sont pas encore les vacances. D’ailleurs hier avant de me coucher papa m’a fait réciter cette poésie débile sur le printemps. J’ai une excellente mémoire et je pourrai réciter le dictionnaire par cœur si on me le demandait. Dehors il fait déjà jour , d’habitude je suis en train de déjeuner…

 

Holà y aurait-il une grève ? Une grève sauvage comme ça sans prévenir ! Pas le style du maître : jamais malade, jamais en grève, une calamité.

 

 

Je me résigne à me lever, j’espère que maman n’est pas malade ni papa. Mes copains m’ont raconté que parfois ils peuvent être malades en même temps  quand ils ont picolé. Celui-là de mot je ne l’ai pas trouvé dans le dictionnaire, mais j’ai fait celui qui le connait et j’ai ricané avec les autres.  En tout cas je n’entends toujours rien alors je vais coller mon oreille contre la porte de la chambre de mes parents. J’hésite à l’ouvrir parce que papa me l’a interdit et j’ai bien compris que cette interdiction là c’était du sérieux alors je m’assois par terre et j’attends.

 

Ça y est ça bouge enfin, il n’est peut-être pas trop tard pour arriver à l’heure.
Papa est là dans le couloir avec sa tête des mauvais jours, il doit avoir picolé…
-« Alors bonhomme, en forme, tu sais aujourd’hui il n’y a pas d’école, nous sommes confinés ! Tu peux retourner te coucher ! »
 Me coucher, et mes rêves de gloire alors il s’en fiche ? C’était bien la peine que je révise ma poésie ? Et les cartes de Pokémon que Larenzu devait me rendre et puis c’est quoi encore ce mot : confiné ? Je me rue dans ma chambre pour consulter mon dictionnaire mais le mot n’y est pas. Je n’aime pas demander quand je ne sais pas, surtout à papa qui prend son air mielleux. Je demanderai à maman.

 

En tout cas confiné ça veut dire qu’on ne va pas à l’école. Bon j’irai demain !

 

 

J’ai fini par savoir ce que signifiait le mot confiné !  Maman elle explique pas super bien mais à force de question j’ai compris : confiné c’est comme être en prison sauf qu’on peut regarder la télé et jouer à la console au lieu d’aller dehors.

 

Je m’explique, au début je me suis dit, le confinement c’est un synonyme de vacances (on venait d’apprendre le mot synonyme alors j’étais trop content de le replacer dans la conversation), alors j’ai demandé à maman si on pouvait appeler Alix pour qu’elle vienne jouer à la maison…Et bien  dans le confinement, c’est pas possible. Alors je lui ai demandé ce qu’on avait le droit de faire et ça faisait une liste pas bien longue ! Je pensais que je m’en tirai plutôt à bon compte avec le quota d’heures d’écran possible mais là maman elle a sorti une arme imparable : dans le confinement, on ne va plus à l’école mais l’école vient à nous, le cauchemar !

 

 

En fait de cauchemar, c’est plus pour les parents que pour moi parce que le maître il donne du travail super facile et je le fais en un clin d’œil. Le problème c’est que comme c’est facile je n’ai pas du tout envie de le faire et là avec mes parents on est comme qui dirait en bisbille. J’adore ce mot parce qu’à l’intérieur il y a le mot bille.

Maman elle a décidé que l’école ce serait tous les matins entre neuf heures et midi sauf le mercredi. Tout de suite, je me suis renseigné sur l’horaire de la récréation et maman a dit : «  vingt minutes, pas plus ». J’ai rien répondu mais j’avais quand même ma petite idée. Le lundi elle a duré vingt-cinq minutes et le vendredi elle dépassait l’heure. Ça n’a l’air de rien mais c’est du boulot que de repousser les injonctions régulières de mes parents, il faut de la persévérance pour dire «  oui j’arrive !  » et ne pas passer à l’acte !

 

 

Il faut reconnaître que mes parents ont plusieurs chats à fouetter en même temps parce que eux ils ne vont plus au boulot mais c’est le boulot qui vient à eux. Pour moi c’est facile de laisser traîner et de repousser mon travail aux calendes grecques (ça je ne sais pas ce que ça veut dire mais ça fait drôlement érudit dans la conversation).

 

Maman elle fait des calculs toute la journée sur son ordinateur alors bien sûr elle préfère laisser la récréation prendre des dimensions abyssales plutôt que de s’interrompre et de ne plus savoir de quels chiffres elle s’occupait.

 

Papa, lui, a de la chance parce qu’il répare les congélateurs dans les magasins et j’ai bien compris que quand on est confiné on continue à manger quand même. Alors parfois il reste à la maison mais je crois qu’il s’arrange pour partir parce que lui aussi il aime les récréations !

 

Roland G.

 

AVEC DES MOTS

 

Confinés
Enfermés
Isolés
Éloignés
Séparés

 

Dans les boîtes
Les mots s’emboîtent
Et se déboîtent.
Des mots Lego
Mots légaux
Bien comme il faut
Pas rigolos
Oh oh oh
La mère Rigaud
Ouvre ta boîte
Et dans la ouate
D’une main moite
Cueille des mots


Des mots fragiles
Des pas débiles 
C’est difficile 
Pas impossible
Des mots cadeaux
Les mots d’en haut
Mots nuages
Les plus sages

 

A dire sans rage

 

Rencontre
Échange
Partage
Débat
Action
Création
Transformation
Ensemble

 

Hélène R.

 

 

MOLLY

 

Elle était assise à même l'asphalte, les bras et les jambes raides, l'air hagard. Elle n'arrivait pas à comprendre ce qu'elle était en train de vivre, c'était trop irréel, trop angoissant. Elle resta longtemps dans cette position, incapable de bouger, incapable de penser. On ne sait combien de temps cela dura, une sorte d'éternité, puis elle finit par sortir de son état de stupeur et peu à peu des images défilèrent devant ses yeux. La première fut celle de ses baskets, de magnifiques baskets, en plein écran, achetées la veille. Puis lui apparurent deux visages, celui tout pétillant  de Zoé et  celui toujours grave et calme de Luce, ses meilleures copines. Elle se vit alors sourire, ou plus exactement elle sentit fleurir sur ses lèvres un  sourire de ravissement. Elle imaginait la rage des copines, c'était elle qui avait acheté en premier ces foots si cool exhibées par  toutes les pubs ! Puis son écran intérieur s'éteignit. Elle rouvrit les yeux et se vit, incongrue et ridicule, assise dans sa rue, la main figée sur une maison de poupée. Elle préféra fermer les yeux et attendre, tout allait rentrer dans l'ordre, elle allait retrouver le cours normal de sa vie. Elle attendit suffisamment longtemps pour que sa réalité ait le temps de chasser l'horrible film qui l'avait remplacée.  Quand elle les rouvrit, rien n'avait changé ! Elle les referma, ils ne lui servaient à rien, autant les oublier ! Elle décida de se remémorer de la façon la plus précise possible tout ce qui avait précédé. Oui, c'était ça qu'il fallait faire ! Elle s'allongea, les bras en oreiller sous sa nuque et revisionna tous les gestes qu'elle avait faits,  ce matin là. 

 

 

Elle  avait eu envie de parader, dans  ses  foots si joliment clinquantes. Pas de meilleur auditoire que  ses amies !   Elle  était donc partie  tôt de chez elle, en ce beau dimanche  de mars. Elles avaient pris l'habitude de se retrouver dans le parc.  Elle avait branché son portable sur ses musiques préférées, mis ses écouteurs et en avant ! Ses jolis nœuds sautaient en cadence autour de sa tête, elle ne sortait jamais sans eux, et les assortissait à chacune de ses tenues. Plus d'un et plus d'une avaient tenté d'en rire mais elle avait utilisé son arme secrète, son sourire figé, si désarmant qu'ils s'étaient lassés. Elle n'avait pas couru, elle avait horreur de ça, pour le fun les chaussures suffisaient ! Non, elle avait fait les grandes enjambées dont elle était si fière mais qu'en douce les copines qualifiaient de très raides. Elle avait chantonné  avec conviction tout le long du parcours. Elle avait une mémoire d'éléphant, même ses copines le reconnaissaient, et savait par cœur les textes de  nombreuses chansons.  Ses aigus prenaient parfois une teinte métallique. Mais cela ne diminuait en rien le plaisir qu'elle avait de chanter.  Elle faisait des progrès, c'était ce que disaient  Luce et même Zoé, quand elles faisaient du Karaoké toutes les trois ensemble.

 

Elle avait avancé dans sa bulle musicale tant et si bien qu'elle avait atteint le parc et s'était installée sur son banc préféré. Comme d'habitude elle était en avance, Zoé n'allait sans doute  pas tarder et Luce serait la dernière, c'était toujours ainsi. Dans le fond elle adorait ces moments où elle pouvait s'isoler et rêvasser à sa guise, surtout après l'agitation d'une longue marche. Une mélodie virevoltait autour de  ses yeux tournés vers l'intérieur. Elle avait sorti sa boisson vitaminée et avait étanché sa soif avec gourmandise. Elle  avait déballé ensuite sa barre chocolatée qu'elle avait délicatement croquée,  laissant la douceur forte du cacao se confronter aux grisants craquements des céréales. Elle  avait  fini par ses préférées,  quelques amandes. Elle adorait tant en grignoter qu'on l'appelait souvent l'écureuil. Ça ne lui déplaisait pas, c'est joli un écureuil, et  d'ailleurs ses belles tresses  avaient le même roux flamboyant ! Après  ce  mini pique-nique, ses lèvres s'étaient remises à fredonner ses airs fétiches tandis que  se  déroulaient devant elle les images évoquées par les chansons.

 

 

 Elle avait fini par trouver le temps long et s'était mise à guetter l'arrivée de ses amies. Elle engrangea des détails insignifiants. Un soleil printanier teintait d'un vert tendre le noir des arbres à peine éveillés. Les oiseaux chantaient à tue-tête. Ils étaient très nombreux et semblaient évoluer avec une grande assurance.  Ils s'appelaient de tous côtés. Ils volaient  en groupes denses qui avançaient comme une vague  fulgurante. Elle recula quand ils la frôlèrent.  Puis elle vit d'autres détails  qu'elle n'analysa pas davantage : pas d'enfants dans le coin jeux, tous les bancs étaient vides, personne ne nourrissait les canards. « Mais qu'est ce qu'elles foutent Zoé et Luce, pourquoi  elles sont pas là ?  » Finit-elle par  dire à haute voix, en ôtant ses écouteurs. Elle se leva et   fit quelques pas. C'est alors qu'elle prit conscience de l'assourdissant silence. Mais oui, pas un bruit de voitures, pas un cri d'enfants, pas un rire,  pas  une sonnerie de téléphone, pas un échange de conversations, pas un appel jeté d'un trottoir à l'autre, pas un claquement de talons, rien de tout cela ne l'entourait ! 

 

Elle sort du parc et rejoint  la rue qui le longe. C'est  comme si elle regardait   tout son environnement, pour la première fois. Elle remonte la rue, s'engage dans une autre, puis une autre, partout elle constate l'absence totale de piétons, de circulation. Les seules voitures qu'elle aperçoit sont garées, aussi immobiles qu'inutiles, comme oubliées.  Toutes les rues sont silencieuses, vides, inertes. C'est seulement alors qu'elle réalise que tous les commerces sont fermés, pas une boulangerie, pas un coiffeur, pas un café, pas un resto, pas un ciné avec leurs agitations et leurs vies bruyantes et joyeuses.  Ils sont tous fermés. Une évidence monte en elle, suit les méandres de ses veines, enfle à chaque intersection et finit par exploser dans sa conscience. Elle est totalement seule dans la ville ! 

 

Mais comment est-ce possible ? Se demande-t-elle, on dirait qu'ils ont tous été emportés d'un coup de baguette ensorcelée. Ils ont pris la peine de   tout fermer, tout ranger, aucune trace de violence, alors où sont-ils partis, pourquoi suis-je la seule à être en ville aujourd'hui ? POURQUOI ?

 

Cette découverte provoque en elle une telle déflagration  qu'elle titube, s'appuie contre un mur et reste là, haletante et bouleversée. Elle peine à remettre de l'ordre dans ses pensées, elle a oublié les mots, elle n'est que sensations et émotions. Tout ce magma bouillonne et se mue en une peur irrépressible « La maison, ma maison, vite, y retourner. » sont les premiers mots à revenir, un son après l'autre, comme si sa vie en dépendait. Elle se redresse, retiens le flot de larmes déjà sur le plongeoir et visualise sa maison. 

 

 

Elle fait demi-tour et reprend le chemin en sens inverse. Envolée la musique, finie la marche,  Molly court comme jamais elle n'a couru. Ses longues tresses battent son dos comme des bêtes affolées. Sa robe gifle brutalement ses genoux. Elle entend son cœur battre à poings serrés.  Son souffle court devient obsédant. Sa course est heurtée et douloureuse. Les chaussures trop neuves blessent ses pieds.  Elle est obligée de s'arrêter de temps en temps pour apaiser son corps en détresse. Quand elle retrouve son air, elle voit ces détails qui hurlaient devant  ses yeux aveugles. Personne ne marche sur les trottoirs, la chaussée est vide de voitures, pas un bus, aucune moto. Les pistes cyclables sont aussi abandonnées, pas même un papy fragile sur son vélo ou une mère pédalant vivement, son petit sur le siège arrière, ou un cycliste du dimanche, sa panoplie flambant neuf, au service d'une vitesse de rêve.  Elle, à qui n'échappait  pas même une  chaussette neuve, comment avait-elle pu ignorer tout cela ? Sans parler de ce silence oppressant à force de laisser le champ libre aux seuls oiseaux. Mais où sont les miens ? J'aurais jamais cru qu'ils pourraient tant me manquer ! Le brouhaha de la ville me manque aussi, c'était la  pulsation  de ma vie et je ne m'en doutais pas !

 

D'étapes obligées en reprises elle  finit par arriver dans sa rue. Ce n'est plus la Molly triomphante, mais une Molly en sueur, haletante et désemparée qui s'approche de sa maison pour y trouver du réconfort. Mais le pire était à venir ! Cette fois-ci  ses yeux et son cerveau travaillent de concert pour analyser  ce qui est devant elle mais ce qu'elle voit la stupéfie encore davantage  que tout ce qui a précédé. Elle se trouve bien dans sa rue, elle reconnaît les différentes façades. Elle se trouve bien devant sa porte, elle reconnaît sa couleur bleu marine. Elle reconnaît tout de sa maison sauf que,  ce n'est pas sa maison ! « Non, c'est impossible, impossible ! » hurle-t-elle, et elle se laisse tomber devant une ridicule maison de poupée. 

 

Elle s'était tout bien remémoré mais lorsqu'elle se redressa et rouvrit les yeux elle se retrouva à nouveau devant sa demeure miniaturisée. « Mais comment a-t-elle fait pour rétrécir tant et tant et devenir si minuscule en si peu de temps ? Je dis n'importe quoi, une telle chose est impossible, impossible ! » Ce n'était même pas une maison pour une poupée normale, non elle était juste bonne pour une de ces figurines si petites qu'elles tenaient entre deux doigts.  Elle regarda sa main effleurer la porte, les fenêtres, le toit de cette maison étrangère qui avait pourtant tout de la sienne. Elle avait  tout mais rien n'était pareil tant la différence de format avait changé les choses. Elle ne pourrait plus jamais s'en servir, sauf peut-être  comme tabouret, et encore, elle serait si inconfortable. Elle s'imagina assise dessus et la vit se détruire sous son poids. Elle sentit une larme puis une autre  se faufiler entre ses cils et ce fut à travers leur rideau qu'elle s'aperçut qu'elle n'était plus dans la rue mais dans une chambre. Tout ce qu'elle  découvrait était  flou et brumeux. Pourtant elle ne pouvait douter de ce qu'elle voyait, c'était bien un  lit, un petit bureau, des jouets partout.  Sa tête s'agitait pour nier cette nouvelle réalité.  Sa bouche ne savait plus parler. Bientôt ce furent des  sanglots qui s'arrachèrent de ses entrailles pour la submerger.

 

 

Alors que le chagrin allait la noyer dans ses vagues amères elle fut soulevée de terre. La surprise arrêta net ses pleurs et un  hurlement  gonflait déjà  sa gorge quand  elle sentit la tendresse de deux bras l'enlacer. Elle les reconnut instantanément et son cri s'éteignit.  Ils étaient immenses mais si doux et tandis que des doigts potelés caressaient sa tête elle sentit qu'on la berçait. Elle  n'avait plus la force de penser. Après toutes les épreuves de cette horrible journée, ce fut comme un baume de douceur. Elle était enfin en sécurité, elle en était certaine. Une voix murmurait au-dessus-d'elle. Elle avait toujours aimé cette  voix délicate et frêle. Ses tensions se dénouèrent l'une après l'autre, une chaleur douce l'envahissait. Le flux de ses pensées ralentit tant et si bien qu'il finit par se diluer. Bientôt le silence se fit et avant de sombrer dans le sommeil  elle aperçut son doux visage penché sur elle.

 

Que fais-tu ma chérie ? 
Je console ma poupée, maman.
Pourquoi, que lui arrive-t-il ?
Je viens de lui expliquer qu'elle et moi allions rester enfermées à la maison pendant longtemps. Elle a eu beaucoup de chagrin. 
As-tu réussi à la calmer ? 
Oui maman, mais moi aussi j'aimerais un câlin. 
Tu as raison ma chérie, mais lui as-tu dit qu'après nous irions  ensemble à la mer ? 
Je lui dirais  quand elle se réveillera. Cela lui fera très plaisir. 
Bien, venez dans mes bras toutes les deux. 
La maman s'installe dans un vieux fauteuil très confortable, la petite fille se blottit contre elle,en  tenant toujours sa poupée serrée contre elle. La maman dépose un baiser sur la joue de son enfant et tandis qu'elle lui caresse les cheveux, elle laisse son regard errer vers la fenêtre, un long moment. « Tout va bien se passer ma chérie, je vais avoir plein de temps pour m'occuper de toi, tu verras ce sera très agréable. » Puis elle fredonne une chanson si douce et si apaisante qu'elles s'endorment toutes les deux. 

Dehors la ville, qui a confiné ses habitants pour lutter contre l'expansion du covid19, s'est arrêtée de respirer pour ne pas les déranger.  


Marie-Sol M. S.

 

 

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