Métamorphoses du voyage - 24 octobre 2020

METAMORPHOSES DU VOYAGE

24 octobre 2020

 

 

Je suis très touchée par les retour sur l'atelier d'écriture du 24 octobre 2020.

Alors, je vous partage ce possible d'une intimité pudique et partagée via les voix, les mots...

Vous pourrez descendre à la station des retours des participant.e.s après avoir sillonné leurs récits, exploré leurs textes.

"C'est le même plaisir de la recherche de la bonne résonance entre ce qui nous traverse et un langage.

C'est aussi parfois le jeu."

constate Séverine G.

Quels que soient les véhicules, les trajets et les destinations, les textes nous rejoignent dans une géographie commune...

A bientôt pour danser encore (en corps ?) le langage...

 

 

Parfois...
C’est le chemin qui fait la destination

 

Savoir, choisir. Être Pour ou être Contre. Être sûr de soi. Trancher...
J’aime les gens qui doutent (où l’ai-je lu récemment ?)

 

Bouger, évoluer, avancer ou reculer peut-être... mais être en mouvement, pour voyager. Un voyage à travers soi. J’y vais mais je ne sais pas vraiment où ! En toute honnêteté, je crois que cette idée me plait (souvent). 

 

Etrange sentiment aujourd’hui d’aller bien tout en allant mal ! C’est trouble. Ce matin je marche simplement les yeux ouverts et le cœur tranquille. Un peu vide, sans émotion violente ou prégnante particulière. Je marche.

 

Sur une butte est posté un yogi méditant dos à la montagne et face au vide. Il est beau, serein, le paysage devant lui est apaisant, « aspirant » même. Je prends ! Je prends un peu de cette énergie et poursuit ma route.

 

Plus loin, c’est une adolescente au bord d’un lac qui m’interpelle. Elle doit avoir 16 ans, ou à peine plus. Allongée dans l’herbe, elle regarde le ciel : bleu, pur, lavé par les nuages et par un peu de vent. Jupe orange et large, horizontalité de la rêverie que j’imagine amoureuse. Nos regards se croisent, nos souvenirs aussi. Je peux me tromper mais nous nous sommes reconnues. Un salut de la main, je poursuis mon chemin.

 

Un peu plus loin, j’aperçois un hameau. Dans mes pas il y a le plaisir du chemin, le désir de la découverte mais il persiste ce trouble en moi. Cet inconnu, ce flou intérieur qui ne se dissipe pas... Finalement, l’inconnue c’est un peu moi. 

 

Au hameau, il y a un petit commerce. Le genre qui dispose de tout ce dont on peu avoir besoin. Son propriétaire a la cinquantaine, il me regarde avec un grand sourire que je lui rends volontiers. Son échoppe est vide pourtant c’est accueillant ! 
« Bonjour ma p’tite dame. Belle journée pour une ballade ! Vous avez pensé au pique-nique j’espère ? »
Le pique-nique ? Bien sûr que je n’ai pas pensé au pique-nique ! Je m’approche de son étale.
« Et non ! » lui dis-je. « Bien sûr que non ! »
« Ah, mais tout va bien ! J’ai ce qu’il vous faut ! Quelques fruits, du pain... »
Il m’énumère ce qui pourrait faire mon bonheur. L’homme est affable. J’ai le sentiment que son bonheur à lui est là, dans les propositions qu’il me fait. Je pourrais ne lui prendre qu’une pomme, ce qui compte c’est ce qu’il me propose. Ce qui compte, c’est qu’il existe par cet échange. Il me nourrit, je lui permets d’exister. Mon oreille, c’est son miroir. La preuve de son existence. On s’offre ainsi tous les deux : à manger et à vivre. Et je le quitte.

 

Arbres, buissons, végétation, broussailles, me voici en pleine nature. Craque, brille, bleu. Lumière éclatante, éclaboussante qui remplit. Douceur de l’air. Mais je suis toujours poussive. Suis-je seule ? Non ! Voilà au loin un randonneur solitaire qui vient à contre-sens de moi. Il est un peu loin, il prend son temps, s’agenouille, renifle les herbes, récolte, avance, s’arrête. On s’envisage, il poursuit, je tourne la tête pour regarder ce chêne splendide, lorsque je regarde à nouveau le sentier il n’y a plus personne ! Disparu !
Me voilà un peu déçue de cette rencontre ratée mais... c’est son choix. Le droit à la bifurcation, on en parle ?

 

Comment se fait-il que j’aime tant être dans les arbres, moi la citadine, enfant des pots d’échappements ?

 

Mais un étonnement peut en cacher un autre ! Au détour d’un arbre (encore un), ne me voilà pas « nez à nombril » avec... un ours ! Oui, oui un ours O.U.R.S. Alors là ! Heu... sidération, immobilisation, souffle coupé !
« Banane ? » Dit l’ours
Moi : muette, yeux écarquillés.
[Break temporel et musical : « Il en faut peu pour être heureux ! Vraiment très peu pour être heureux ! Savoir se satisfaire du nécessaire... ! »]
Je ferme très fort les yeux. Les rouvres. Disparu !

 

J’ai eu si peur ! Mon enfance s’est réveillée en moi. Terreur teintée d’excitation. Douceur et curiosité. Doutes, incertitudes, magies. Blanche et noire... multicolore aussi.

 

Ça y est, j’ai repris mon souffle et je suis sortie de ce bois. Me voici à présent dans une clairière. C’est Pique-Nique et Compagnie. J’observe de loin des jeux et des discussions que je ne comprends pas vraiment. Une mère joue avec son enfant. Branches, vert, à claire-voie. Etreindre l’arbre usé, vieilli, gondolé, éblouissant. L’enfant a les yeux bandés. Le visage de la mère est rayonnant. Elle le guide et veut le surprendre. On peut voir en elle un mélange d’attention et de projection. Se mettre à la place de l’autre et en apprendre ainsi autant que lui. Et en vivre aussi tout autant. 

 

Chaque seconde de l’existence à goûter, quelle qu’en soit la saveur !

 

Un pas après l’autre, me voici à présent « nombril à nez » (cette fois-ci) avec un jeune enfant d’une dizaine d’année je crois.
« Que fais-tu là mon bonhomme ? » lui dis-je.
Va-t-il me demander de lui dessiner un mouton, une mobylette... ou quelque chose de chouette ? me dis-je en mon fort intérieur.
« Tu es perdue toi aussi ? » me répond-t-il.
Tiens, cet enfant a déjà la stratégie de la question en guise de réponse ! 
Si moi je suis perdu ? Heu... Cet enfant perdu semble paisible, pas angoissé, sans haine. C’est vrai qu’il n’y a pas de « N » dans perdu ! Comment fait-il ? Je ressens une grande douceur d’entendre cet enfant me dire son chemin. Quant à moi j’en viens à me demander quelles sont mes racines ? C’est à clarifier ! Clarifier les racines !? Ma mère coiffeuse disait ça souvent !!! Ha, ha, ha ! (Rires pour moi)

 

Le ciel s’est assombrit ! Un éclair au tracé impeccable vient d’illuminer le ciel ! Il va falloir songer à rentrer ! Cette balade m’aura fait traverser bien des état (Etats ?) Le monde est en soi n’est-ce pas ? Du vide tremblant de mes premiers pas à cette étape de la promenade, me voici à présent interrogative. Je ne me sens plus vide mais une drôle de tristesse m’habite. Une tristesse contenue qui vient de je ne sais où. Il pleut ou il va pleuvoir. Je ne sais pas si ce qui arrive est de l’ordre de la giboulée ou du déluge. Ni même s’il n’y a pas un orage caché derrière...

 

Mais comme disait ma mamie : « Après la pluie, le beau temps ! »

 

Séverine G.

 

 

Vacances !

 

Vite, vite, arracher cet uniforme, quitter cet hôpital sinistré par la Covid. Sage-femme, je viens d’accoucher dans la souffrance une mère ahanant, un nouveau-né qui émerge en hurlant son angoisse de devoir respirer. Fin de mon service. Vacances !


Alors je pars en courant, dans deux heures je prends le bateau pour une Grèce encore accessible qui devrait m’arracher à ce monde oppressant. Fatigue, fatigue, délivrance…


Me voilà sur le navire, les reins encore courbatus, Besoin de communiquer…
J’aperçois sur le pont, accoudé au bastingage, un petit homme dodu, lunetté de noir et tourné vers la mer. »Beau temps, n’est-ce pas ? » dis-je finement. « Oui, ça fait du bien de s’arracher au quotidien », me répond-il d’une belle voix chaude inattendue. « Le soleil, ça régénère ! » - Vous en aviez besoin ? »me risqué-je. « Oui, je suis percepteur des impôts, ce n’est pas un métier qui porte à l’allégresse en comptant des heures de bonheur ! – Certes ! moi qui suis sage-femme,  j’accouche souvent d’une migraine ! Au fait, je m’appelle Claudine ! – Et moi Edmond » Mais notre échange s’arrête là  car j’éprouve un vague mal de mer.


Plus loin je contemple une jeune femme blonde, la trentaine, étendue sur le sol par l’entremise d’un tapis de sol prêté ou apporté. Elle respire la sérénité d’une yogi confirmée. Je l’envie. J’aurais bien besoin d’un brin de relaxation…
Où me changer les idées ? Je pense au salon entrevu sur le plan, je m’y risque d’un pas chancelant et trouve un petit groupe d’enfants devant un dessin animé, où Dumbo virevolte , gros volume paisible qui renifle et savoure le monde de sa trompe ductile. Mon nez est bien trop court, mais un dessin animé, ça me rajeunit agréablement. 


A côté dans un fauteuil club un bel homme est assis, la quarantaine conquérante, qui m’adresse soudain quelques mots, soulignés d’un accent anglais presque maîtrisé : «  Hello ! jeu m’appelle John !- Et moi Claudine ! je parierais que vous venez d’Angleterre ! – Yes ! plous exactement d’Ecosse, où les brumes qui ne laissent émerger que des fantômes d’individous m’ont lassé ! Je pars chercher dou soleil et des sourires. – En Grèce vous aurez vos chances ! ». Cette conversation commence bien !


 Mais notre regard est attiré par deux femmes qui pénètrent dans le salon ; l’une des deux a la main appuyée sur l’épaule de l’autre avec confiance, elle est mal-voyante mais bien accompagnée ! Son amie la guide avec fermeté et précision vers un canapé. C’est beau la confiance…j’aimerais en faire autant. Je me tourne vers John qui semble avoir suivi le même cheminement  de pensée. « Si j’ôosais, me dit-il, amusé, voulez-vous tester mon épaule dans oun petit parcours ? – Oh volontiers, ce serait une expérience pittoresque – mais quittons d’abord le salon pour ne pas avoir l’air de caricaturer ces deux personnes charmantes. »


Dans le couloir, coursives, escaliers, portes à seuil…obstacles à franchir. John bande mes yeux avec mon foulard et nous voilà partis à l’aventure. Surtout moi ! Mais j’ai une confiance immédiate dans son épaule musclée et ses petites indications rassurantes. Mon corps se détend, intrigué, rénové par cette ambulation non conventionnelle. Je me sens bien, dans le noir !
Dans ma nuit provisoire apparaît soudain le souvenir de mes amis Doumé et Catarina essuyant la pire tempête en allant en Corse. Que je suis tranquille, moi, sur ce navire sans oscillations ! Soudain John nous arrête et enlève mon bandeau. Oh ! l’habile homme : nous sommes devant le bar ! « Jeu vous offre oun scotch ? j’ai appprécié cette confiance imprévue. Jeu sors d’une rrelation houleuse avec une femme compliquée et peu confiante, même sans bandeau ! Jeu vous rremerrcie d’avoir accepté ce jeu ! – Ne remerciez pas, cette promenade inopinée m’a fait un bien fou, une coupure inespérée. J’étais stressée par le métier que j’exerce…et là je plane paisiblement. Même sans whisky ! »


A côté de nous une jolie femme brune aux yeux d’obsidienne intervient avec un sourire hellénique : «  Pardonnez-moi, je m’appelle Sapho, je suis Athénienne et j’ai entendu vos propos. Je crois que mon pays aux couleurs de soleil, aux vagues de lumière, vous fera du bien, En octobre les senteurs de thym et d’asphodèles (*) vont vous détendre, vous bercer, vous redonner une vraie sérénité ! »


John et moi nous regardons en souriant. Oui, sans doute…
 

(* ) oui, bon, les asphodèles, c’est fleuri au printemps, mais il faut s’adapter !


Claudine L.
 

 

D'isle  en  isle


Un jour de plus où Avenio se réveille avec des douleurs dans les reins, le sommeil se révèle être une torture sournoise s'il doit aboutir chaque matin à ces courbatures.
Étirements pour chasser le point dans le dos.
Café pour trouer le brouillard.
Tachycardie après la première cigarette.
Malaise quotidien d'une façon de vivre qui ne peut se résoudre simplement comme on remet en place l'abattant des toilettes.
Pourtant il doit bouger ce matin, il s'est promis de porter des livres à l'EHPAD de l'isle 100.
Il se rase, c'est la moindre des choses, mais il ne prend pas de douche, faut pas déconner non plus, il descend au garage, ouvre le portail pour laisser entrer la lumière du jour, regonfle les roues de son vélo, puis met en place sur le porte-bagage un cageot dans le quel il a placé les livres qu'il va donner.
La charge est lourde et déséquilibre le vélo, il va devoir pédaler avec énergie.
Et espérer tout le temps que le cageot reste en place, il ne se voit pas offrir des livres maculés de boue, ce serait les outrager, et les gens de l'EHPAD n'ont nul besoin qu'on leur donne des objets qui mériteraient le nom de rebut.
Les livres sont vieux et usés mais ils racontent aussi les mains qui les ont touchés.
Avenio ferme la porte du garage à clef, et s'élance sur son vélo.

 

Un enfant traverse sans regarder, un élève du collège de l'isle 24, il doit être en 6eme ou en 5eme, son cartable est rebondi et lui étire douloureusement le bras, s'il était en 4eme ou en 3eme, il n'aurait pas un cartable aussi lourd, ou même n'en aurait pas du tout, il se foutrait déjà de tout ça.
Avenio a failli ne pas le voir, il l'évite de justesse, son vélo fait une embardée, il tend une main derrière lui pour retenir le cageot qui a glissé, il crie après le gamin étonné.
Un an ou deux de plus et le gamin lui répondrait par un doigt d'honneur.

 

Un joggeur court sur le trottoir, il dépasse Avenio et lui crie « Tu sais pas lire Papy ? » , il lui montre 
un panneau de sens interdit, « Tu n'es pas dans le bon sens ! » . Avenio hausse les épaules mais s'arrête et repart dans l'autre sens.

 

Devant le Grand Hôtel de l'isle 38, le portier est assis sur un banc de pierre et a enlevé ses chaussures, Avenio met pied à terre devant lui pour rajuster la position du cageot.
-Vous allez loin comme ça ? dit le portier dans un souffle tout en se massant le pied droit qu'il a passé sur sa jambe gauche.
-Je vais jusqu'à l'EHPAD, répond Avenio.
-Ah, la maison des centenaires !
-Oui, ils ne pouvaient pas construire un EHPAD pour les centenaires ailleurs qu'à l'isle 100.
-Dernière maison avant le désert, dit le portier en repoussant en arrière un chapeau multicolore, vous croyez qu'ils arrivent encore à lire ?
Un voyageur arrive, s'arrête, regarde la façade de l'hôtel, puis tourne la tête à droite et à gauche.
Le portier remet son chapeau en place et se précipite pour prendre les valises du client, celui-ci examine le portier de la tête aux pieds et dit :
-Vous êtes pieds nus pour faire croire que votre hôtel est sur une île ?
-Non, dit le portier, c'est parce que ma femme me casse les pieds, alors je les masse de temps en temps. Remarquez... Je ne suis pas marié, disons que c'est en prévention.
Mais le voyageur ne rit pas, il s'en tient à sa colère, et accuse le portier de l'avoir berné, qu'il croyait que l'hôtel était sur une île puisque c'était marqué sur la brochure en ligne.
Le portier se dit navré, se ratatine un peu, mais il garde fermement les valises à la main.
Le voyageur se déride et se décide enfin, il franchit la porte-tambour de l'hôtel suivi du portier qui hait cette porte-tambour et se bat avec les valises.
Quand le portier ressort, Avenio est toujours en train de rajuster les sangles de son cageot.
-Je vous parie vingt euros que le prochain client râlera aussi !
-Je ne parie jamais, dit Avenio, la vie en soi est déjà un pari, pas la peine d'en rajouter. Qu'est-ce qu'il avait ce client ?
-Il pestait parce que sur le prospectus est marqué : 
                  « Venez vous reposer à l'Hôtel de l'isle 38, bien placé...tatata...etc »
il croyait arriver sur une île, et puis quoi ? Les vahinés, les palmiers la plage ? Comme s'il y avait la mer ici, elle est à cent kilomètres !
-Mais pourquoi mentionner l'isle alors ?
-Parce que c'est l'ancienne référence du pâté de maisons, la ville était divisée en isles dans le temps.
-Je sais, dit Avenio, c'est ma marotte, l'isle N°1 par exemple, se trouvait à la porte Saint Lazare, la ville commençait là, si on était malade et contagieux, on n'entrait pas dans la ville, on était mis en quarantaine au lazaret, la liberté par la santé ! Mais vous êtes un petit joueur, vous saviez qu'ils râlent tous, les clients, vous ne preniez aucun risque à parier !
-Il faut bien que j'arrondisse mes fins de mois si je ne veux pas qu'elles deviennent des fins de moi !
Les paris c'est ma marotte, un peu plus, juste un peu plus pour mon ordinaire. C'est comme pour vos vieux, les livres les romans c'est bien, mais ils préféreraient certainement vivre ce qu'ils lisent, et puis ils ont des choses à dire certainement, avant de rejoindre le grand Satan. Moi, j'en ai des histoires à raconter, rien qu'à pousser cette fichue porte.
Avenio se gratte la tête, puis grimpe sur son vélo et lance « Salut, à la prochaine Cerbère ! ».

 

Psychologiquement atteint, il pédale de travers.
Arrivé au carrefour des Trois Pintades, entre l'isle 69 et l'isle 68, celles des missionnaires et des pénitents de toutes couleurs, il prend la rue des Amoureux qui longe les jardins de son ami 
Tronc de Figuier, herboriste et accessoirement psy.
Psy quelque chose, suivant les jours ou les nuits, mais surtout quand le soleil se couche.
Tronc de Figuier est le fournisseur d'herbes et de plantes aromatiques pour l'EHPAD de l'isle 100.
Avenio cale son vélo et entre dans la boutique de son ami, senteurs qui se dégagent des tiroirs et des vitrines.
-Salut à toi, le cartographe, qu'est-ce qui t'amène ?
-Tu m'avais dit une fois que la télé abrutissait les vieux, je porte des livres à l'EHPAD.
-Ah oui, bien ! Il vaut mieux qu'ils s'endorment en lisant, ils feront moins de cauchemars ! Prévois des coussins avec tes livres !
-Mais je me disais... Et si c'était eux qui racontaient des histoires ? Cela serait mieux non ? Un club de conteurs.
-Si tu arrives à les faire parler... Certains ne différencient le jour de la nuit que quand ils font pipi ou caca, et puis ils sont timides. Tu devras choisir ton moment, entre les soins les repas la sieste, les jeux..
-Je me débrouillerai, je passerai des journées avec eux.
-Tu veux faire l'expérience de la vieillesse ? Pourquoi pas, on est toujours effaré quand elle arrive, et c'est quelque chose qu'on a du mal à exprimer.

 

Place des Carmes, des clowns ont investi l'espace et installent leur matériel. C'est déjà un spectacle pour les SDF assis sur les bancs avec leurs canettes de bière.

Une chanson (*) s'élève d'un ampli et résonne dans l'air :

Mon église est je crois
La plus riche église à Séville
Tout le jour à la porte
Attend un aveugle immobile

Ses yeux perdus voient le ciel
Et je sens qu’ils voudraient m’y conduire
Aurait-il sans cela ce sourire surnaturel?
Ses yeux perdus voient le ciel
Ses yeux morts voient danser les étoiles
Et le monde infini se dévoile à son appel

Ô vierge qui régnez sur mes prières
L’aveugle a dans les yeux votre lumière
Ses yeux perdus voient le ciel
Et je tremble en pensant à ces choses
Et je viens déposer une rose sur votre autel
C’est mon cœur je crois bien
Le plus pauvre cœur de Séville
Et l’amour à sa porte
Est un jeune aveugle immobile

Ses yeux perdus voient le ciel
Et je sens qu’ils voudraient m’y conduire
Aurait-il sans cela ce sourire surnaturel?
Ses yeux perdus voient le ciel
Ses yeux clos sont ouverts aux étoiles
Et le monde infini se dévoile à son appel

Ô vierge qui régnez sur nos prières
L’amour a dans les yeux votre lumière
Ses yeux divins voient le ciel
Et je tremble en pensant à ces choses
Et je viens effeuiller une rose sur votre autel.


Un clown est en équilibre sur un fil qu'il parcourt sur un vélo. Il tient un balancier équipé à chaque extrémité d'une boule, sur l'une est écrit Vie, et sur l'autre Mort, et entre les deux,  sur la barre, est écrit Peut-être. Le clown a les yeux bandés.
Tout à coup, Avenio, qui ajuste à nouveau les sangles de son cageot devant l'église, perçoit une voix, comme si il se parlait à lui-même :
-Ils me font chier ces nègres ! dit Dieu.
-Comment ? Dit Saint Antoine.
-Oui, enfin, tu me comprends, je parle de ces nègres qui écrivent pour les autres, certains ne sont jamais contents, et pourtant leur rôle est crucial. Tiens, regarde ce gars, là, sur son vélo avec un cageot en voie d'atomisation, il peut faire bien plus que faire parler les vieux, il peut recueillir et écrire leurs histoires. Nom de Moi, pérenniser les souvenirs !
-Ma foi, dit Saint Antoine, il fait comme il peut, pour comprendre un homme (vous le savez bien...) il faut chercher le père. Le père de celui-là était libraire. Et tout bien considéré, votre Père à vous
-Il y a des fois où je ne comprends pas les hommes. Mais , puisque tu es le patron des causes perdues, tu vas t'occuper de celui-là, et lui montrer ce qu'il doit faire, c'est ta mission du jour, et tu ne resteras pas là à m'enquiquiner !
-Bon, c'est vous le chef.
-Il y a des coups de pieds au cul qui se perdent quand même. Mon Père était Dieu le Père, et alors ?

 

Avenio entend de nouveau la chanson, il se dit qu'il y a plusieurs dieux mais qu'il n'y a qu'une seule Vierge, c'est cela qui fait tenir le clown sur son fil, et l'amour, celui pour les autres, celui des autres, dans ces espaces vides et infimes, où tout se crée, tout se construit.

 

Un pou, qu'il a dû recueillir sur la place, vient de piquer Avenio, et il sait ce qu'il doit faire, il se démène sur son vélo, oubliant le cageot brinquebalant, aiguillonné par les piqûres du pou. 
-Vite, dit-il, avant que ça ferme. 
-T'as beau pédaler comme un fou, dit le pou, m'est avis qu'on arrivera ensemble !

 

Avenio lève la tête de son guidon, s'arrête en faisant crier ses freins et entre dans une papèterie.

 

Quand il arrive à l'EHPAD, il laisse son vélo et son cageot et entre avec un paquet à la main rempli de cahiers et de stylos. 
Il a un sourire aux lèvres.
Comme pour le clown sur son fil, entre la vie et la mort, on ne sait si il va tomber ou pas, l'avenir n'est qu'une somme d'hypothèses.
Rien n'est écrit d'avance, tout est à écrire de ce que l'on sait.


(*)  Paroles d'une chanson de Reda Caire, de 1939, « Les yeux perdus ».

 

Jean-Pierre C.

 

 

Partir en vacances

 

Cette fois ci, c’est certain , j’avais perdu pied .
Et la seule solution pour rétablir un équilibre,  était de se mettre énergiquement en marche.
Eté 2020, forte de cette résolution, je me décide à faire une chose tout à fait inhabituelle,
Partir en vacances. Oui je dis bien partir et non pas prendre.

 

Occasion de rêve ou hasard bienveillant, une amie propose de la rejoindre sur l’Ile d’Yeu.
La perspective insulaire m’enchante et assouvira un vrai besoin d’isolement.
L’hôtel est réservé, il faut que je sois seule.

 

L’amie ménagera quelques moments, quelques visites, quelques partages de repas.
Femme sensible  intelligente et drôle elle associe avec bonheur deux superbes activités : écrivaine et vigneronne ! on ne s’ennuie pas avec elle !
Un petite sœur amenée par la vie.

 

Allez, trêve de paroles, il est temps d’embarquer dans ma voiture chérie, mon antre, ma soucoupe volante adorée qui va me projeter à la destination fantasmée.
La route va être délicieusement longue mais entrecoupée d’étapes.
L’idée est de prendre du temps, ce que je ne sais pas faire.
Je suis toujours pressée.

 

Il a fallu bien se préparer à cette aventure, et emporter dans un minimum de place un maximum de matériel... de peinture. 
Car, au plaisir de partir j’ai ajouté l’opportunité de peindre des paysages inconnus.
Petit matin, telle un navigateur de La Route du Rhum, grand sentiment de liberté en bandoulière, j’ai les larmes aux yeux de m’octroyer ce temps.
Je démarre.

 

Je traverse les régions, avale les kilomètres et cela me mène vers l’ami, l’âme sœur, celui avec qui rien n’aura été possible, sauf à distance...
Regard bleu si clair, et prompt à se noyer de larmes, partages profonds et sans calculs, notre attachement ressemble à un phare toujours visibles dans l’écume des grandes tempêtes.
Ma route reprend, et je me délecte des lénifiants et paisibles paysages du bord de la Loire.

 

Un croquis rapidement esquissé, en équilibre sur mon petit pliant, et il est tout pile l’heure de pousser la porte d’une petite auberge amie.
M est la ravissante et talentueuse maitresse des lieux, 
Réservée mais attentive elle désigne tout auréolée de sa scandinave blondeur ce qui me semble être la meilleure table de l’accueillante terrasse fleurie.
Petite tablée proche de la mienne. 
Une femme qui semble lasse et effacée fait face à son amie. La complicité est évidente, que de bienveillance dans les regards, que de chemins partagés dans les expressions, que de hochements de tête compréhensifs...
Le partage du repas agit sur les sourires et les mines gourmandes.
La cuisine de notre blonde hôtesse est espiègle et inattendue. Le piquant, l’aigre-doux dont on avait besoin. Tout cela joyeusement proposé par une gracieuse fée.
Une jeune et jolie personne qui semble répondre au prénom de A.
A, Alerte, circule d’une table à l’autre, se retourne aux interpellations des clients, n’épargne pas ses sourires et sa bonne humeur.
Espiègle et dynamique elle dépose avec malice les délices attendus. Vive et preste, elle fait pétiller le moment.
La halte prend fin et toute égayée de ces belles énergies, je reprends la route. Hors de question de rater le bateau qui m’amènera à la destination tant souhaitée.

 

L’embarcadère est en vue.
Miracle j’ai trouvé sans me perdre !
Il faut quitter l’habitacle sécurisant et me mettre en mouvement.
Petite appréhension.
Ne pas céder à la crainte de l’inconnu. Empoigner d’une main la valise, de l’autre le charriot de peinture et rejoindre le bateau.

 

La traversée est rapide et, tout entourée de mon paquetage encombrant je m’assied à coté d’une jeune grand-mère. La conversation s’engage. Ella va rejoindre sa famille sur cette île qu’elle connait si bien. Elle y vient depuis sa tendre enfance, sa famille y a un pied à terre.
Et voila qu’elle me décrit tout les attraits de ce petit lopin de terre au milieu de l’océan.
Les points de vue à ne pas manquer, les coins cachés et charmants, les différentes ambiances.
Rencontre précieuse : je note ses conseils bien décidée à ne rien rater.
Voila autant de destinations pour mes futures pochades.

 

Arrivée sur le quai, toujours exagérément chargée . Mais bon sang, il serait temps de s’alléger...
Bagages prestement déposés à l’hôtel pimpant et frais, j’avise un passage entre rochers et plage et pinède.
Émotion de marcher sur le sable blond.
Comme une évidence posée là devant son chevalet une jolie peintre, la quarantaine paisible et déliée pose ses touches de couleur sur la toile.
Je suis arrivée.

 

Michèle A.

 

 

JE SUIS PARTIE

 

Bon sang ! Mais pourquoi je me suis chargée comme ça ? J’ai l’air de quoi là ?...
Bon. Soit je reste plantée là, soit je prends mon courage et mes bagages à deux mains. Allez ! Le train ne va pas venir me chercher jusqu’ici.
Et bien sûr, les TER sont au bout des quais.  Quai numéro 10, pourquoi pas le 100 tant qu’à faire. Ouah ! C’est lourd. Toujours, toujours, il faut que je m’encombre. Et bien sûr, j’ai mis un pantalon qui me serre.
Je devrais prendre modèle sur elle, là-devant… Ses vêtements flottent autour d’elle. Tellement légère, ses pieds ne touchent pas le sol.

 

Train 2468. Il y a de la place dans le casier à bagages. La valise, le sac à dos. Ha ! Ça fait du bien, mais je garde un petit sac pour ce que je veux sentir en sécurité. Vite, une place près d’une fenêtre et ma revue préférée… Pourvu que personne ne vienne à côté.

 

- Là maman ? Là ? mais je voulais être à la fenêtre…
- Tout va bien Olivier. On ne va pas loin. Je suis derrière toi. Tiens, prends un bonbon.
Il est mignon ce petit avec sa salopette jaune et sa bouille toute ronde, un vrai petit poussin. Je ne résiste pas.
- Tu veux te mettre à ma place ?
- Oui, oui ! Trop bien !
- Olivier, tu dis merci.
- Merci madame. Tu veux un bonbon ? Regarde madame, tu as vu, il y avait des moutons. Et c’était quoi ? De l’herbe en or ?
- C’est du blé. Le temps de la moisson approche. Ils sont bien mûrs déjà.
- Et ça, c’est une usine !
Le train fonce à vive allure à travers des images multiples et le temps passe encore plus vite. Déjà, Olivier est parti. Près de la fenêtre, je détaille les paysages, des formes, des couleurs, brèves rencontres.

 

Que se passe-t-il ? Au fond du wagon ça discute pas très poliment… Il y en a un qui n’a pas l’air très clair là. Pouf ! Je dirai bien qu’il « traintraille » au milieu du couloir… Il a dû sacrément faire la fête cette nuit. Mais… mais non ! Il ne va pas… 
- Excusez-moi. Elle est libre cette place ?
Si, il se met là !
-Désolé. Je ne tiens plus debout ! Je suis comédien, nous sommes en pleine tournée et ça fait deux nuits que le metteur en scène nous tient debout avec des modifications. Aujourd’hui c’est relâche mais au lieu de dormir, je cours à un casting. Il y a un rôle pour moi dans une série télévisée… mon agent m’assure que j’ai toutes mes chances. C’est une occasion inespérée de me montrer… je suis complètement…
La tête sur la poitrine, il s’est endormi. En voilà une vie.
Si mi sol fa# mi si la fa#... Les premières notes d’Harry Potter le réveillent.
- Oui Sylvia.
Au moins, je n’entends pas la réponse.
- Mais je ne peux pas rater ce casting, ça peut faire décoller ma carrière…..
Là, j’entends quelque chose. Sylvia n’est pas contente. Il y a des nerfs qui vibrent dans le portable.
Il tente un :
- Mais qu’est-ce que tu veux à la….
Clic !
Ceux sont les joies des portables dans les transports en commun : on partage tout.
Il tourne vers moi un regard agacé : 
- Là, Ça ne va pas aller. J’en ai assez ! Elle savait ce qui l’attendait avec ce métier. Forcément, on ne peut pas être souvent ensemble. 
- Il y a des choix qui ne sont pas faciles à partager sur la durée. Chacun attends…
- Voulez-vous une tasse de café ?

 

De l’autre côté du couloir, une main tend un gobelet d’où s’échappe des brins de brume parfumés.
- J’ai aussi des biscuits. Il ne faut jamais se laisser prendre de court. Quand je pars, j’emporte toujours du viatique. Le ventre plein, on se sent mieux et on peut faire face à toutes les situations.
Une femme, plutôt âgée, non, vraiment âgée, se penche en avant pour me regarder : - C’est pas vrai ?
Je ne sais que répondre. L’image du bol de cacao et du beurre d’une tartine qui vient fondre dessus s’impose à moi. C’était bon, mais cela n’empêchait jamais l’angoisse de partir pour l’Institution Champfleury, les longs couloirs sombres et les religieuses au regard froid et sévère qui risquaient de surgir à tout moment…
Je murmure - Même à douze ans, ce n’était pas suffisant pour…
- Pardon ?
L’arrêt du train me dispense d’en dire davantage. Mon voisin se lève brutalement.
- Il ne manquerait plus que je rate ma correspondance. Merci pour le café. Au revoir, Mesdames.

 

Sans plus de façons, la vieille dame vient s’asseoir à sa place, pose son grand sac sur ses genoux, en sort un thermos et un autre gobelet. Elle verse du café et me le met dans les mains.
- Vous les jeunes, on se demande après quoi vous courrez.  Moi, j’ai été élevée à la campagne, et tout ce dont j’ai eu besoin c’était d’un bon mari qui n’ait pas peur du travail. Mon Bertrand, je ne me suis jamais demandé si j’étais amoureuse ou pas !... On a dansé ensemble à la Vote, on a fait une belle fête dans la grange pour se marier, et on a fait pousser des tomates, des courgettes, des radis, des pêches, des pommes et bien sûr quatre petiots… qui, d’ailleurs, mènent des vies de patachons comme lui ! On se demande ce qui vous attend là-haut ?
Elle lève les yeux vers… le plafond, croque un biscuit qu’elle avale avec une gorgée de café. Moi, je reste bouche bée. Que répondre à ça ? Elle a dû ressentir mon incrédulité, elle enchaine.
- Enfin, bien sûr qu’il y a un « là-haut », sinon cette vie n’a pas de sens. Toutes ces misères, ces souffrances, ces injustices, il faut bien qu’il y ait une réponse. Il faut bien que les comptes soient faits à la fin, non ?
- Je… je crois… je crois que je ne sais pas…
Je ne sais surtout pas comment partager mes interrogations avec elle et ses certitudes rassurantes. J’essaie un sourire…. Elle me tend le paquet de biscuit et je n’ose pas refuser, j’en prends un que je grignote lentement.
Le train ralentit, s’arrête à je ne sais pas quelle gare, mais je me lève.
- Je suis désolée, excusez-moi, je suis arrivée.

 

Je me retrouve sur le quai, plutôt sonnée. Ce n’est pas comme ça que j’avais imaginé ce voyage. Je voulais juste mettre de côté un moment tout ce et tous ceux qui s’accrochent à moi… Etre tranquille enfin !
Bon ma vieille, changement de programme. J’oublie que je suis partie de A pour aller à B. Il y a encore 24 autres points à découvrir jusqu’au point Z, et puis je peux rajouter les 26 points en minuscule, mettre des lettres doubles, des apostrophes, et si j’attaque avec les nombres, l’infini s’ouvre à moi.

 

La gare est minuscule, un seul quai, sans doute un petit village comme en desservent les TER… Je trouve tout de même quelques casiers de consignes pour accueillir valise et sac à dos et je sors, plus légère.
La place de la gare est toute neuve, je suis éblouie par la pierre. Pendant un instant, je ne vois plus rien et j’oublie tout. Je ferme les yeux pour prolonger cet éblouissement. Je sais seulement que je suis vivante, cela suffit. 
Après tout, peut-être que je suis arrivée… Idiote, je ne suis pas arrivée, Il n’y a rien à faire sur cette place vide. Je pars. Je ne sais pas où je suis, je ne sais pas où je vais. J’avance, c’est tout. Vertige.

 

Trois ruelles s’offrent à moi, j’en emprunte une sans choisir. Large trottoir fleuri, volets fermés, volets ouverts repeints à neuf, odeurs de cuisine, rares voitures, une école silencieuse, j’aperçois les enfants à travers une baie. Je lève les yeux, le ciel est très pur, d’un bleu profond... pourquoi je pense à un ciel du nord ? Je ne vais jamais vers le nord. Un étrange nuage vient obscurcir le ciel, surgi de nulle part, un immense vol d’étourneaux.
Je me laisse emporter par leur ballet, les formes se succèdent, le synchronisme est parfait. Y a-t-il un général quelque part pour donner des ordres ? Moi, si j’étais un étourneau, je serais celui qui dérègle la mécanique : partir à gauche quand tout le monde part à droite, c’est moi ça. Il faudrait que j’apprenne à être un bon petit étourneau, c’est tellement joli ce qu’ils m’offrent tous ensemble… enfin ce qu’ils m’offraient, car les voilà partis. Vers leur point B ? Si je pouvais, je leur conseillerais d’aller découvrir le point H, ou le R…

 

Je sors du village en évitant de regarder son nom sur le panneau. Un sentier s’offre sur ma droite, il monte vers une colline. Quel paysage m’attend là-haut ? Le Paradis ? Très vite, la garrigue m’offre ses richesses,  je prends le temps de sentir des cailloux sous mes pieds, de regarder la couleur de  chaque plante, de toucher des troncs d’arbres, de respirer, respirer.
Je flâne et pourtant je rattrape un couple devant moi. Eux aussi, semblent en harmonie parfaite. Savent-ils qu’ils marchent d’un même pas, au même rythme ? Ensemble, ils s’arrêtent, se regardent, murmurent, repartent. Tais-toi Brassens, ils sont heureux, c’est évident. Je sais, Sylvia, et son comédien de mari (au fait, son mari ?) ont sans doute vécus des moments comme celui-là, et puis... la vie et son traintrain quotidien.
Bon, qu’est-ce je fais ? Je n’ai pas envie de rompre ne serait-ce qu’un instant cette jolie intimité. Laissons-les profiter. J’enregistre cette belle image et je fais vite demi-tour… Je n’irai pas « là-haut » mais ce n’est pas grave. De toute façon, le Paradis n’existe pas, parce que sinon, il y aurait aussi l’enfer, et ça, ce serait insupportable. 
Je m’en retourne avec dans la tête des images d’immenses flammes où des êtres se tordent pour l’éternité. Adieu l’amour. 

 

Retour dans le réel. Je retrouve mon ciel du nord, la route tranquille qui va m’offrir j’espère une nouvelle destination, un autre but… c’est ça, j’arrête avec mes points lettrés, je préfère un but, un but à découvrir, sans l’avoir prévu, ni désiré. Je suis prête.

 

La route se déroule à travers champs maintenant, pas de sentiers par où m’échapper. Je continue sans penser et je débouche sur une autre route, bien plus large, où des voitures circulent sans me voir. Sur ma gauche, un terre-plein et un arrêt de bus où un banc m’invite à faire une pause. Je m’aperçois que j’ai faim. Je n’ai rien avalé depuis le café dans le train… et ma bouteille d’eau est restée dans le sac. Je repense à la vielle dame et son viatique : l’expérience bien sûr.
Un camion se gare sur le terre-plein. Le chauffeur descend. Il est bien agité, regarde autour de lui, va vers le carrefour, trouve un panneau, ne semble pas rassuré. Il vient vers moi.
- Je suis paumé. Je ne sais pas où je suis. Je veux rejoindre l’autoroute. 
- Ah, il y a une autoroute ! C’est dommage.
Pourquoi j’ai dit ça ? Il ouvre grand les yeux pour mieux m’examiner, je crois qu’il a déjà des doutes sur ma santé mentale.
- Ben oui, une autoroute. Pour aller jusqu’à Milan, c’est mieux.
- Milan ? J’ai failli aller à Milan une fois…
- Dites, vous êtes du coin ou non ? J’ai pas de temps à perdre moi…
Je redeviens pragmatique :
- Et vous partez à Milan sans carte, sans repaire.
- C’est ce foutu GPS, il doit avoir un circuit de cramé. La Pierreblanche, c’est une ville ou un village ?
- Je ne connais pas La Pierreblanche.
- C’est écrit sur le panneau, là, au croisement. Et aussi, juste derrière vous, c’est le nom de cet arrêt des cars.
-Alors c’est de là que je viens, c’est un tout petit village, surtout ne tournez pas par là avec votre camion. La route est étroite et mène à une petite ruelle encore plus étroite.

 

Oh mais !.. Il me dérange celui-là. J’aimais bien moi me sentir perdue, sans attache, sans bagage. Mais c’est… Peut-être. Oui ! Après tout pourquoi pas ? Oui, oui, je lâche, je lâche tout vraiment. 
C’est parti, je jette la clé de la consigne à bagage dans les buissons et :
- Allez, emmenez-moi à Milan.
- Hein ! Comment ça ? Mais… quoi ? mais vous n’avez rien…
- Si, il me reste quelques papiers et ma carte bleue avec quelques petits sous sur mon compte, cela devrait le faire. Après, après je ne sais pas. On ne sait pas ce qu’il y a après ou pas. C’est merveilleux. Vivons, c’est tout. 
- Eh ben. Eh ben.
- On y va ? Nous avons juste le temps d’arriver là-bas à la tombée de la nuit.
- Oh ça… Vous savez en ce moment des fois, la frontière, ça peut prendre des heures.
- Il y a des couchettes dans ces camions non ? D’ailleurs je peux aussi dormir sur des caisses. Il faudra quand même que je me trouve un pantalon un peu plus large.
- Mais je ne sais pas par où partir. Je vais arrêter une voiture…
- Ecoutez, c’est tout simple. Il est quelle heure ? midi, une heure ?
Il regarde sa montre.
- 14 heures exactement.
- Voilà, c’est parfait. Nous sommes à l’heure d’été, donc, il est midi pour le soleil. On se met face à lui et on sait où se trouvent les points cardinaux, et Milan c’est par là, juste à l’est de La Pierreblanche. Allez,. On avance dans cette direction et on finira par trouver la bonne route.
- Eh ben. Eh ben…
En refermant la porte du camion, j’aperçois une silhouette qui s’avance vers l’arrêt de bus. Une femme, ses vêtements amples flottent autour d’elle, tellement légère on dirait que ses pieds ne touchent pas le sol. J’ai l’impression que son délicat sourire s’adresse à moi.

 

Assise à la terrasse d’un ristaurante de la Piazza del Duomo, avec un verre de Proseco et une pizza blanche, quelques feuilles devant moi et un porte-mine dans la main, j’écris : 
« Bon sang ! Mais pourquoi je me suis chargée comme ça ? J’ai l’air de quoi là ?...
Bon. Soit je reste plantée là… »

 

Mais je suis partie et j’ai atteint un but !
Après, je vais me remettre en route très vite, atteindre d’autres buts… parce que le Proseco, pourquoi pas, mais mon truc à moi, c’est plutôt le vin rouge.

 

Hélène R.

 

Retours des voyageuses & voyageurs

 

Séverine G.

"Je voulais te dire que je suis bien contente d’avoir partagé avec vous ces deux ateliers. Je retrouve dans cette configuration le plaisir de l’écriture que je peux trouver dans les ateliers de composition et/ou d’improvisation en danse qui jalonnent (pas assez certes, mais quand même) mon existence. C’est le même plaisir de la recherche de la bonne résonnance entre ce qui nous traverse et un langage. C’est aussi parfois le jeu. Celui qui semble se construite tout seul. Et puis c’est la relation avec les autres (précieuse) ! Et alors là, je dois dire que je suis bluffée. Ça je ne m’y attendais pas. Pas comme ça.

Quand on pratique en danse, on est dans une sorte d’intimité sensible, parce que le corps est là comme une antenne. Parfois on se touche, se frôle etc… Et forcément il y a un lien sensible qui très vire se créé. Je ne pensais pas que cela puisse aller ainsi et si vite dans un atelier d’écriture… Et pourtant la magie opère. Alors certes le dernier atelier n’était pas « sans corps » 😉 mais j’ai notamment été bluffée - et j’y ai encore pensé l’autre nuit (et oui je pense la nuit. Le jour… ?)- par les modes de transports choisis par chacun des participants !!! Chacun avait le sien ! Distinctement de celui des autres !!! Sans rien se dire !!! Comme si, on s’était tous mis d’accord !Qui du vélo, de la marche à pied, du voyage en voiture, en bateau, en train, à domicile ou intergalactique !!!! Ouah ! Scotchée !"

 

 

Michèle A.

"Moment unique ce samedi matin et tellement bienfaisant
cela était ma première sortie après les vendanges et les vinifications,
c'est à dire six semaines de travail intense, sans aucune coupure , aucun jour de repos et des journées de 12 heures de travail physique soutenu
c'est dire le repli sur soi,  il faut tenir à tout prix

j'avoue un peu de réticence au début puis, le contact avec l'autre si semblable et différent de moi, a fait s'opérer comme un apprivoisement de moi-même,
une réconciliation .

Merci infiniment,
d'autant que la période nous pousse davantage à fuir le semblable humain qu'à le fréquenter. 
Très très belle séance donc.
je te dis à Bientôt, avec grand plaisir,
je suis si heureuse de participer à ton atelier."

 

 

Jean-Pierre C.

"Extraordinaire expérience, le contact physique entre écrivants est inexistant d'habitude. Cela permet un autre état d'esprit et met en évidence que le monde physique continue d'exister au moment où  on écrit, que notre présence n'est pas seulement sensitive, émotionnelle, imaginaire ou intellectuelle mais bien tangible. Le fait d'écrire, qui est un fait en lui-même, fixe les impressions et les éternisent. Ouais chouette expérience, et d'autant plus en ces temps de distanciation et peut-être de confinement au bout du chemin. Cela ne nous empêchera pas d'écrire de toute façon. A bon lecteur salut ! Bises jp, je continue à travailler mon texte qui a des résonnances particulières pour l'avenir, merci Anne , encore dans le mille, (pas dans l'émile)."

 

NOTA BENE

 

Les prochains ateliers d'écritures Femmes en Filigrane
des samedi 07 & 21 novembre 2020 
auront lieu chez vous ;-)
  de 9h30 à 12h30
via mail.

 

Toutes les informations pratiques à retrouver sur

L'Appel d'Art Compagnie

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